Pour John Taylor, En voie de disparition d’Éric Pessan est un livre tonifiant, tant l’auteur est franc, drôle — et drôle car toujours franc !
Écrivain multiforme — romancier, dramaturge, essayiste, poète et également dessinateur —, Éric Pessan se penche dans En voie de disparition sur le sens et le statut de ce drôle de métier qu’est le sien. C’est un livre tonifiant, tant l’auteur est franc, drôle — et drôle car toujours franc ! Nulle vie de bohème “poétique” dans ces pages. Avec un œil (si j’ose dire) “américain” pour les détails qui font mouche, Éric Pessan pointe, en révélant sans ambages ses propres doutes, ses déboires et — oui — ses joies, les très modestes splendeurs et les persistantes misères de la vie d’un écrivain d’aujourd’hui.
Nous le retrouvons dans le train, dans les ateliers d’écriture qu’il anime, dans les soirées littéraires aussi bien que dans cette “vie quotidienne” où il “travaille” autant qu’à la table de son bureau. En effet, à l’extérieur, son œil et son oreille sont aux aguets. Ironique sur son propre sérieux, intransigeant avec ses propres illusions, il épingle tout autant les lecteurs, les critiques, les libraires et les éditeurs. Une série de seize phrases commençant toutes par “tu souris” dévoile de façon particulièrement subtile les situations qui surgissent sans cesse devant un écrivain :
“Tu souris à la lectrice qui t’explique qu’elle ne te lira pas parce que — le soir — elle veut des trucs qui détendent et lui fassent oublier son quotidien.
Tu souris au libraire qui ne vend pas tes livres, il doit faire des choix, il ne peut pas tout avoir en rayonnage, sa trésorerie ne suffit pas. . .”
Voici un recueil savamment disparate qui comporte des poèmes, des mini-nouvelles inspirées par les livres qui ont marqué Éric Pessan (et qui vont de Shining et Demain les chiens à Madame Bovary, Bartleby le scribe et Alice aux pays des merveilles), une “enquête” sur le thème “C’est quoi, un écrivain?” ainsi qu’une suite numérotée d’aphorismes que l’auteur intitule “101 tracasseries sans grande importance”. Ces tracasseries sont en fait de la plus grande pertinence pour comprendre ce qu’est un écrivain. Ces réflexions parfois âpres, parfois mélancoliques, sont orientées pour la plupart contre leur auteur.
Citons l’une de ces confidences aiguisées comme une fléchette: “Douche froide, je repense à l’effacement de certains auteurs, Blanchot, Gracq, moi qui frétillais de joie voici une minute apprenant mon invitation dans une foire au livre.” Mais n’oublions pas cette dernière “tracasserie”, qui montre pourquoi cette revigorante anthologie de critiques et d’autocritiques d’Éric Pessan nous conduit aussi vers cet auteur dont les écrits si souvent nous touchent: “Si je m’en réfère aux biographies, aux correspondances et aux journaux intimes des mes auteurs favoris, l’écriture est une douleur, un combat, une attention, une violence, une déchirure. Et moi, sottement, j’écris. Heureux.”
Éric Pessan, En voie de disparition, Éditions Al Dante et Le Triangle, 104 pp., 13€, ISBN : 978-2-84761-738-2