Le nouveau roman de Catherine Malard, En compagnie des Indes, est à la fois un roman initiatique et un récit de voyage. Une belle porte d'entrée sur ce pays de légende. Lecture de Christine Tharel.
Catherine Malard vit et travaille sur les bords de Loire. Elle écrit des fragments, des nouvelles, et a publié trois romans aux éditions du Petit Pavé. Avec ce dernier roman, paru en décembre 2018, elle met le cap sur l'Inde.
En 2014, Anouk, la narratrice, retourne en Inde où elle a déjà effectué un séjour d'un an, 38 ans auparavant. La perspective de ce retour éveille en elle le souvenir de ce premier voyage. Elle avait alors une vingtaine d'années, et l'envie de quitter la douceur des bords de Loire pour les rives du Gange la tenaillait, envers et contre tout, malgré l'incompréhension de sa famille et de ses amis de fac. Il suffit d'une pincée de curcuma pour la transporter, et nous avec, 40 ans en arrière :
“Ce matin je déplie mes souvenirs indiens comme si j'avais subitement mis la main au fond d'une corbeille emplie de papiers empoussiérés que ma mémoire aurait chiffonnés pour mieux oublier. Comment recoudre ces mots éparpillés sur des petits carnets élimés, renouer avec les courriers fanés de Camille, l'amie qui n'avait pas voulu m'accompagner, comment faire parler les photos noir et blanc, ranimer les portraits d'amis oubliés ou disparus.”
Anouk évoque d'abord le choc culturel ressenti à son arrivée, les premières impressions qui bousculent ses repères, la déstabilise et lui donne envie de fuir. “Tout me glisse entre les doigts... Comme tout me heurte moi qui cherchait partout du sens !” écrit-elle à son amie Camille.
Mais n'a-t-elle pas entrepris ce voyage pour être désorientée ? Et ne faut-il pas se perdre d'abord avant de pouvoir espérer une renaissance indienne ?
Elle poursuit le récit — vivant et souvent plein d'humour — de sa lente acculturation, fait l'expérience de la rue, de la misère qui l'attire et la prend à la gorge mais à laquelle elle refuse de s'habituer. Puis découvre l'incroyable richesse de ce pays, l'abondance des senteurs, des saveurs et des couleurs, des sons qui heurtent son oreille d'occidentale. Un véritable “bain sensoriel” qui va lui permettre “d'aspirer l'Inde par la peau”.
Sajiv, un jeune indien rencontré à Poonah va l'initier à la musique, lui permettre aussi de pénétrer la complexité de la société indienne. Avec lui, elle s'imprègne intimement d'une culture aux multiples facettes et paradoxes, enquête sur les différentes communautés, castes, religions qui composent la mosaïque indienne, fait l'expérience du temps indien, “s'incline devant la présence du sacré” et réfléchit à son karma. Elle poursuivra sa quête seule pour se forger enfin “une certaine idée de l'Inde”, sa propre idée de l'Inde, accepter ce pays fascinant et mystérieux sans s'identifier.
Tout à la fois roman initiatique et récit de voyage, ce livre est une belle porte d'entrée sur ce pays de légende et donne des clés pour mieux l'aborder. A l'instar de Pasolini, de Moravia, de Nicolas Bouvier ou de Guy Deleury, dont les récits accompagnent la narratrice dans son voyage, Catherine Malard nous livre là , de sa plume vive et précise, une expérience singulière de l'Inde et restitue de manière très sensible ce pays en compagnie duquel elle a vécu pendant 40 ans avant de le restituer grâce à l'écriture.
En Compagnie des Indes de Catherine Malard, Éditions du Petit Pavé, 130 p., 13€, ISBN: 978-2-84712-595-5.