Dans son nouveau livre, Dos au soleil, Frédérique Germanaud évoque le rapatriement des Français d’Algérie. Mais elle nous amène là où on ne s’attendait pas. Lecture de Christian Bulting.
Le livre commence par des dates, des lieux, des chiffres. Très précis, très informé. On sait tout de suite de quoi on parle. Le rapatriement des Français d'Algérie. Chaque chapitre porte le nom d'un bateau ayant effectué la traversée. Ce récit concerne l'auteur, sa famille, on l'apprend à la fin du premier paragraphe : “Parmi eux mes grands-parents, ma mère, mon oncle.”
On s'attend donc à un livre qui évoque la vie en Algérie, quand elle était française, le vécu des rapatriés, leurs difficultés d'adaptation, comment ce déracinement a été ressenti dans la famille de l'écrivain, ce que cela a impliqué dans son existence. Et cela y est. Mais pas de la manière dont on pouvait s'y attendre. C'est-à-dire sous la forme d'un récit continu, structuré, progressif. Il est vrai que dès les premières pages l'auteur nous prévient : “Ce n'est pas un travail scientifique ou historique que j'ai entrepris, mais une opération alchimique sur une matière rétive. Travail littéraire indéniablement. Mais qui ne traite sa matière qu'indirectement.”
En fait le livre est un journal sans date d'un écrivain des bords de Loire qui voudrait écrire un livre sur les rapatriés d'Algérie. Frédérique Germanaud nous montre sa vie au quotidien, la maison, le jardin, le compagnon. Elle se met en scène recherchant livres, plans, passant beaucoup d'heures sur internet. Et cela constitue l'essentiel de l'ouvrage. Même si cette vie décrite s'articule autour du livre à écrire. On a toujours l'impression que le récit va démarrer mais en vain : “Lorsque je tente le passage vers le continu, le raisonnable, lorsque je tente d'enclore la réalité dans une forme fixe, tout se délite.”
D'où un texte par fragments, qui a du charme, et l'air de rien dit des choses sur les rapatriés : “Transplantés, la greffe ne prend pas... Ils portent la marque inaltérable de la perte.” Ou : “Ils sont devenus étrangers”. Ou encore : “Tu n'es pas trop congelée me demandait ma grand-mère à tout bout de champ... Elle transposait sur moi sa peur du froid.” Et ceci : “La famille avait un sol. Il s'est dérobé sous ses pieds... Face à la mer ils pensent à leurs morts, enterrés loin d'eux, dans le sol natal.”
La méthode de Frédérique Germanaud est celle-ci : “Je braconne”. “La sensation et l'instant sont mes outils”, ajoute-elle. Elle ne va pas au plus droit en interrogeant sa famille, en se rendant à Oran. C'est sans doute qu'elle ne veut pas “prendre en pleine figure l'histoire familiale que je tiens soigneusement à distance”. Et qu'à aller sur place elle préfère imaginer “la circulation sur le boulevard du front de mer. […] Je passe des jours entiers à faire et refaire virtuellement le trajet complet du tramway.”
Dos au soleil est un livre singulier, qui ne ressemble à aucun autre. Le livre nous emmène où on ne s'attendait pas, grâce à une écriture sobre, maîtrisée. De la littérature au sens le plus noble du terme.
Dos au soleil, de Frédérique Germanaud, Éditions Le Réalgar, 168 p., 17€, ISBN: 979-10-91365-77-2.