Demain l'instant du large, le nouveau recueil de poésie de Luce Guilbaud, est une invitation au voyage. Mais ce voyage en cache un autre. Lecture de Claire-Neige Jaunet.
Demain l'instant du large : ce titre du dernier recueil de Luce Guilbaud, avec l'expression qu'il porte en creux, prendre le large, est bien une invitation au voyage. Dès les premiers poèmes, un demain fait de mouvement est là : "tu suivras...", "tu iras...". La destination reste incertaine, ce peut être "vers toujours plus de terre", "vers l'éclair", "vers le large"... Comme si le but était moins important que l'impulsion, que l'élan "qui te pousse et roule vers l'avenir" et qui place dans l'attente de ce qui va advenir.
Cet élan, il est donné par "l'appel des conques marines". C'est l'univers marin qui attire et va porter le voyage : les voilures qu'il faut hisser et manœuvrer, les ports et les escales, un horizon "entre ciel et mer", la voix des vagues, et les "plaines abyssales" ; un lieu particulier fait de beauté tout autant que de dangers : tornades, noyades, colères, tempêtes, gouffres... Toujours "la menace sous la coque", la peur n'épargne même pas les marins aguerris. Pour compagnon de route : les vents, tantôt "solidaires" tantôt "dépeceurs", et parfois "ricaneurs". Et le voyage est sans cesse recommencé : "départ", retour", "repartir", "revenir". Le propre de l'instant du large est la répétition : "Tu reviendras dans mes bras d'océan".
Mais ce voyage en cache un autre. Il est la métaphore de celui des nuits blanches et de leurs "heures étirées" dans "l'attente et l'ordre de l'écriture", à traquer dans l'océan des mots ceux qui font le mieux naviguer dans la "mer intérieure", ceux "qui connaissent mes marées". Alors toute eau devient bonne, celle de la mer comme celle de la rivière ou de l'estuaire. On peut même lui "tourner le dos" et contempler la terre, puisque l'eau du "trajet liquide" est en nous.
Et cette mer qui nous appelle pour la parcourir sans cesse et l'explorer, c'est aussi la métaphore d'un autre abyme : "en entrant dans la mer j'ai roulé dans le temps". Car la mer nous porte vers des mondes défunts, celui des sirènes, des dieux de l'Olympe, des ruines, des caravelles... Et nous porte surtout vers le sillage tracé derrière soi, vers les "trésors perdus": "tous mes absents sont au large". Prendre le large, c'est aller de l'avant dans l'espace comme dans le temps. Il y a une totale analogie entre "repousser l'horizon" et "repousser l'avenir". Comme les marins de jadis, il s'agit de trouver le passage "quand le ciel aura changé la place des étoiles".
Demain l'instant du large, de Luce Guilbaud, Éditions Lanskine, 51pp., 12€, ISBN 979-10-90491-47-2.