Délires simultanés, un livre écrit à deux mains (turques) qui offre bien plus qu’un simple voyage ironique au cœur du métier d’écrivain. Lecture de Gérard Lambert-Ullmann.
Ce livre écrit à deux mains par deux écrivains et traducteurs turcs de renom mais qui se présentent ironiquement comme “deux écrivaillons ténébreux” est un petit bijou d’humour, en plus d’être une solide exploration d’un métier compliqué : l’interprétariat en simultané.
Un homme qui fait depuis longtemps ce métier pour des organismes officiels “pète les plombs” au beau milieu d’un discours du président et lui fait tenir des propos délirants. Il est aussitôt arrêté et interné dans un asile où il se trouve plutôt bien s’il compare la vie qu’on lui fait à celle qu’il avait lorsqu’il travaillait. C’est depuis ce lieu qu’il explique à un écrivain, ayant envisagé de se servir de son cas pour écrire un roman, toutes les arcanes, ficelles et difficultés de ce métier dont l’essence consiste à “se faire oublier” tout en étant la pièce essentielle du rouage.
On plonge alors dans un savoureux décorticage des diverses sortes de discours, des stéréotypes de la langue de bois, des formules vides, des clichés fumeux, des vantardises des fanfarons, des trésors d’hypocrisie des cyniques, et de la manière dont l’interprète doit composer avec tout ça en usant de toutes les ressources du langage et en prenant toujours garde de n’irriter personne par un mot, un silence, une intonation de voix; sans oublier les cravates au col serré qu’il faut supporter jusque dans les cocktails assommants mais incontournables et l’impossibilité de se rendre aux toilettes quand l’envie survient.
Bien plus qu’un simple voyage ironique au cœur d’un métier c’est le rapport complexe entre les humains et leurs langages que ce livre nous invite à disséquer, le sourire aux lèvres et… le micro coupé.
Délires simultanés, de Enis Batur et Yiğit Bener, Bilingue, Meet, 215 pp. 15€, ISBN: 9791095145066.