Churchill, Manitoba, d'Anthony Poiraudeau

Publié le 27/11/2017 par Carole Poujade
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L’auteur, parti à la poursuite d’un rêve, s’abandonne à Churchill, petite ville de 500 âmes, aux confins de l’arctique canadien. Une expérience du bout du monde dans la capitale mondiale de l’ours polaire. Lecture de Carole Poujade.

“Comme beaucoup de personnes, j’ai longtemps rêvé sur les cartes de géographie.” Pour l’auteur, Anthony Poiraudeau, il s’agit d’un rêve, mais aussi d’une fuite et d’un fantasme. Churchill, un petit point sur l’une de ces planches qui ornaient autrefois les salles de classe, encadrées de marges blanches et perforées de deux œillets, une carte Vidal-Lablache. Churchill, une ville au bord de la baie d’Hudson, dans la province du Manitoba au Canada, un bourg solitaire au milieu de contrées inhabitées, une terre froide envahie par la toundra. Pour l’atteindre, deux jours et deux nuits de train à partir de Winnipeg. Et à l’arrivée, pour l’auteur, comme un charme qui se rompt : “Je ne voyais pas du tout ce que j’étais venu foutre ici, où je devais rester coincé pour les quatre prochaines semaines.”

Mais le besoin d’agir est le plus fort. Et le regard qui s’est porté si loin doit découvrir.

Alors, malgré la désolation et l’hostilité naturelle des lieux, l’auteur débute, non sans ironie, son itinéraire à la découverte de son environnement. Les initiatives sont imprévues et originales. Combien Churchill compte-t-elle d’affiches faisant référence à l’ours blanc ? Quelles sont les collections abritées par la grande bibliothèque ? Inventaire, catalogues, comptages marquent le quotidien des journées qui s’égrènent. Point ou peu de rencontres. Les habitants de Churchill sont des taiseux ; ils ne souhaitent pas se lier aux voyageurs de passage. 

L’auteur nous invite à partager son parcours, jalonné d’étapes tant instructives, constructives, que libératoires. Une introspection à la fois littéraire et émotionnelle autour des cartes de géographie, du voyage sans retour, de Julien Gracq à Glenn Gould. 

“Je comprendrais mieux l’espace en comprenant la littérature et mieux la littérature, qui est bavarde, en comprenant l’espace qui est muet, et que comprenant l’un et l’autre c’est la langue du monde que je comprendrais.”  

Anthony Poiraudeau comprend-il la langue du monde, lorsqu’il retrace les installations successives de la compagnie des aventuriers d’Angleterre venus commercer violemment fourrure et pierres précieuses ? Comprend-il la langue du monde lorsqu’il parcourt l’histoire des Dénés Sayisi, les antiques maisonnettes du Camp 10, et tout ce qu’il reste à Churchill du passage de ces indiens déportés, décimés puis repartis, quelques-uns, totalement désorientés sur leurs terres d’origine ? 

Les phrases longues témoignent du cheminement de la pensée, faite d’allers, de retours, de détours et d’interrogations. 

Que deviendra le rêveur, au terme de son voyage ? Quel sera désormais son goût pour les cartes ? Et si Vidal-Lablache s’était trompé ? Ce livre est l’égarement d’un homme. Mais l’égarement n’est-il pas le meilleur moyen de construire ses propres repères ? 

Churchill, Manitoba, d'Anthony Poiraudeau, Editions Inculte, 157 p., 15,90€, ISBN 979-10-95086-48-2

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