Ça tient à quoi ? de François de Cornière

Publié le 05/09/2019 par Claire-Neige Jaunet
Catégorie

Ça tient à quoi ?, le nouveau recueil du poète François de Cornière. En accueillant toutes les résonnances de l'instant, en les laissant "s'échouer" dans son poème, le poète se place sur un  "point de rencontre" où  convergent le passé, le présent, et le futur. Lecture de Claire-Neige Jaunet.

ça tient à quoi, la valeur d'un instant ? Car le recueil de François de Cornière est une cueillette de "petits blocs d'instants", un ensemble de fragments anodins où se révèle pourtant l'intensité du vécu. Une intensité qui tient au bouleversement du temps. Où est le passé, le présent, le futur, dans le départ d'un bateau, dans ces itinéraires préparatoires retrouvés sur une carte, dans cette boîte à livres où les titres ramènent "des années en arrière", dans les images qui reviennent lorsqu'on ferme les yeux sous le drap les nuits d'insomnie, ou encore dans ce trajet de bus qui "glissait vers un souvenir"? L'instant s'affranchit des catégories temporelles, "les années perdues" y  jettent des lueurs, comme les étoiles qui brillent encore au ciel après leur passage, et "des phrases parfois / remontent de très loin / et elles s'accrochent à la mémoire / en plein cœur du présent". En accueillant toutes les résonnances de l'instant, en les laissant "s'échouer" dans son poème, le poète se place sur un  "point de rencontre" où  convergent le passé, le présent, et le futur, et il peut "jouer au Lego / avec des morceaux de sa vie". Le temps est remplacé par l'émotion.

L'intensité de l'instant tient aussi, en effet, à une émotion, inscrite dans une profondeur personnelle, et pudiquement révélée. C'est le plus souvent à la fin du poème qu'elle apparaît, comme un aveu furtif, et seulement après avoir évoqué un lieu ou une circonstance. Une clé qu'on actionne pour la dernière fois, une arrivée dans un aéroport, une attente à la terrasse d'un restaurant ou au volant d'une voiture, une promenade, un bord de mer, un jour de pluie ou de soleil, un vol de canards... dans ces moments simples quelque chose palpite, caché dans l'intime: "un ailleurs invisible / vibre tout près de moi". L'instant, c'est "l'heure des rendez-vous secrets". Il suffit de regarder la forme de la lune pour que le monde s'invite, il sait se glisser dans les moindres "fentes" du présent : un lapsus, une toux inopinée, un geste, un bruit, un propos échangé... Des expressions courantes soudain reconsidérées, des mots saisis au vol, notés, retrouvés, participent à la reconstruction  de ce qui a été vécu. Une reconstruction peut-être imaginaire: "Est-ce que c'est le souvenir / qui fabrique le poème / ou le poème qui fabrique le souvenir?"

Ecrire, c'est aller vers les "simples choses", et les poèmes sont "des instants qui durent", pleins de doutes, de questions, et pleins de la musique d'une "harpe invisible".  Mais pour qui sont-ils, au juste, ces poèmes écrits "dans mon coin"? Et ça tient à quoi qu'un poème puisse détourner "le vide / qui reste de notre vie" et  fasse surgir dans les instants éphémères des "courants du passé"...?

ça tient à quoi ? de François de Cornière, Éditions Le Castor Astral, 200 p., 13€, ISBN: 979-10-278-0205-0.

Image retirée.