Pour son deuxième roman, C’est moi, la romancière nantaise Marion Guillot évoque un couple au bord de l’ennui. Entre eux, un ami encombrant. Se met en place un très sombre projet, avec rigueur, minutie. Lecture d’Alain Girard-Daudon.
Marion Guillot choisit de placer en exergue de son deuxième roman une citation de Beckett : “Fais-moi penser d'apporter une corde demain”. C'est bien vu lorsqu'on publie chez Minuit d'invoquer la figure tutélaire de la maison, de se placer sous le signe de son humour très noir. Même si cette jeune auteure appartient à une génération qui me semble beaucoup plus marquée par un Tanguy Viel (cela est sensible dans la fluidité et l'élégance de sa langue), ou un Yves Ravey pour la mécanique précise, voire diabolique de l'intrigue.
C'est moi, c'est l'histoire d'un couple au bord de l'ennui, d'un amour qui cède “sans vraiment opposer de résistance, à la force des habitudes ou aux fatigues quotidiennes”. Elle travaille, parce qu'il faut, sans passion. Lui pas, même s'il cherche mollement un emploi. Entre eux il y a un ami Charlin, trop présent.
Cette peur de la routine des jours était déjà au cœur de Changer d'air, le premier roman de Marion Guillot, qui relatait l'histoire d'une fugue, non pas d'un collégien mais d'un professeur. Le besoin de rupture se fait ici plus violent, plus radical : “la seule chose donc qui m'importait, c'est la perspective, même vague, que quelque chose change, bouge ou disparaisse brutalement, qu'il y ait du bruit et de l'action, et pourquoi pas du sang partout...”.
Mais pour secouer le destin, il faut un événement déclencheur. Ce sera une photo agrandie sur le mur, que la narratrice découvre comme une surprise, pas souhaitée. Car sur cette photo d'été, elle est quasi nue et ainsi offerte aux regards de tous et notamment de l'ami Charlin, décidément bien encombrant. Dès lors ce n'est plus seulement un malaise, mais un mal être qui s'installe. L'autre que l'on aimait, la vie que l'on vivait, plus rien n'est supportable. Se met en place un très sombre projet, avec rigueur, minutie. Rien n'est caché des préparatifs d'un meurtre, ni de la difficulté, de la durée de son accomplissement. On n'en dira ici pas plus afin de laisser au lecteur le bonheur de la découverte. D'autant que ce roman drôle et grave à la fois, commencé de façon cinématographique, sur un flash-back, s'achève de façon surprenante, inattendue.
Marion Guillot fait preuve d'une étonnante maitrise dans la conduite du récit. Elle a par ailleurs un remarquable talent d'observation. La scène inaugurale au funérarium, où l'on apprend entre autres que... toutes les filles faciles s'appellent Véronique ! est un régal de férocité (“on se serait cru à un vernissage”).
Bref, concis, efficace, d'apparence légère mais plus profond qu'il n'y paraît, ce second roman confirme la singularité et le talent de Marion Guillot, une auteure dont nous attendrons désormais des nouvelles.
C'est moi, de Marion Guillot, Éditions de Minuit, 112 p., 12€, ISBN: 978-2-7073-4398-7.