Azolla, de Karine Bernadou

Publié le 10/11/2016 par Patrice Lumeau
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Un conte fantastique de Karine Bernadou, illustratrice nantaise, qui fait exploser les conventions et la bienséance. Azolla, une beauté crue qui se dévore à chaud. Lecture de Patrice Lumeau

Bleu blanc rouge, voici les couleurs dominantes du livre de Karine Bernadou, Azolla. Et pourtant rien de travail-famille-patrie dans cette BD. À l'image de la couverture, si le rouge point dans cette sensualité de bleu, c'est pour noter avec une exquise délicatesse les lieux où l'érotisme palpite, ou alors, signaler la vie, les entailles, les entrailles d'où jaillissent les sangs et les cauchemars.

Enfin une BD qui réveille les sens.
Azolla, cette petite bonne femme nous montre l'envers de notre décor. L'air espiègle affiché sur sa frimousse laisse place tour à tour aux tourments de l'âme. Azolla est une grande, très grande amoureuse. Trop? De son univers plan-plan – maison mari mamour – va surgir avec force destruction, les perversités les plus éhontées qu'elle assume avec un appétit redoutable. La chair est omniprésente dans cette fable.

Son homme ne rentre pas  ?
Les mecs planquez-vous ! Les femmes aussi.

De son appétit de sang et de sexe naît une boulimie que l'univers entier ne semble pas pouvoir rassasier. Azolla, effrayante et fascinante sirène, se métamorphose en ogresse dotée d'un appétit de vivre ravageur et envoûtant. Une faim de vivre comme on pourrait parler d'une joie de vivre.
Ou, pourrait-on dire encore, le vital et fol besoin de combler une absence. . .

Une force visuelle rare, nul besoin de phylactère.
Avec des moyens graphiques qui pourraient sembler d'une dĂ©concertante simplicitĂ©, un lavis bleu, l'emploi pertinent de trois couleurs, bleu, plus les deux autres dĂ©jĂ  citĂ©es, Karine Bernadou rĂ©ussit Ă  faire vivre cette fille au cheveux bleu et aux pommettes rouges. Le trait est libre aucune case pour le contenir. L'ingĂ©niositĂ© brute du  dessin nous fait naviguer du rĂ©el au surnaturel. RĂŞve, agitation intĂ©rieure, rĂ©alitĂ© s'entremĂŞlent.

La malice affleure toujours au coin du trait. Et quand la page est inondĂ©e de bleu c'est pour mieux  y voir la sensualitĂ© dĂ©bordante de son hĂ©roĂŻne. Car avec Azolla nous sommes et dans le conte et dans l'ivresse biblique. Pas de Blanche-Neige, mais un mari chasseur, une femme qui se multiplie comme des petits pains, un dĂ©luge. Tout est fait pour nous dĂ©stabiliser et ça marche! De cette lecture on sort sinon renversĂ©, tout au moins troublĂ©.

Exister sans moral, sans tabou ni trompette. Au moins dans nos fantasmes. Merci Azolla.
Un livre audacieux.


Azolla, de Karine Bernadou, , Éditions Atrabile, 120 pages en quadrichromie 21x28 cm,  23,50 €, ISBN  : 978-2-88923-045-7.