Rencontre avec Coline Pierré et martin Page, auteurs de Les artistes ont-ils vraiment besoin de manger ? aux éditions Monstrograph.
Coline Pierré et Martin Page forment un couple d’amoureux, de parents et d’auteurs prolifiques et tout-terrain, Coline évoluant sur-tout dans l’univers de la littérature jeunesse, Martin nageant comme un poisson dans l’eau entre littéra-ture jeunesse, littérature générale, écriture de théâtre, cinéma, traductions… Récit d’un Nantes-Angers sous forme de voyage Skype au pays des artistes-auteurs.
Le livre qu’ils ont initié, intitulé Les artistes ont-ils vraiment besoin de manger ?, regroupe des témoignages d’artistes-auteurs sur leur quotidien, leur réalité. Il porte un titre à l’image du couple : drôle et engagé.
Martin explique sans détour : « S’est construite l’image noble d’un artiste qu’on a dissocié de l’argent. C’est un piège mortel, cet effacement de la question politique et monétaire en littérature générale. Les artistes-auteurs sont très valorisés socialement, mais la condition qui leur est faite est très dure. Il y a un genre d’hypocrisie sociale qu’il nous importe d’amener au jour. On ne peut pas se contenter de n’aimer les artistes qu’une fois qu’ils sont morts ou millionnaires. » Coline précise que l’idée était aussi de parler des auteurs « au milieu », de ceux qui ne meurent pas de faim, mais qui ne sont pas des célébrités : « Il nous semblait que c’était un point aveugle. »
Pour eux deux, la condition des artistes-auteurs, et notamment la défense de leur statut, doit passer par une reconnaissance du politique : « Si l’art, la culture, sont importants, soutenons les artistes et les auteurs d’aujourd’hui. Mettons en place des résidences, donnons-leur des bourses, faisons des liens entre eux, les bibliothèques et les universités ; et payons-les correctement. »
Il faut faire de vrais choix politiques
Lorsque j’aborde le sujet des réformes en cours et à venir pour les artistes-auteurs, Coline se fait la voix de nombre d’entre eux : « On est plutôt inquiets de toutes les réformes qui arrivent et qui ne prennent pas en compte la spécificité de nos statuts. Mais ce sont des choses qu’on peut régler, ça de-mande juste de faire de vrais choix politiques. » Tous deux évoquent d’ailleurs le travail considérable et les luttes collectives menés par certaines associations de défense des auteurs, particulièrement en littérature jeunesse (le Snac BD et la Charte des auteurs et illustrateurs jeunesse étant les plus reconnus.)
Alors, comment intégrer l’activité des artistes-auteurs, la rendre légitime dans une société qui n’a pas les bons instruments pour mesurer, voire porter, la créativité ? Martin pense que des chemins sont possibles : « En littérature jeunesse c’est très bien fait. Il y a des résidences où un temps est consacré à l’animation d’ateliers d’écriture, à la rencontre des enfants, etc. Je trouve ça super. C’est important qu’il y ait un genre d’échanges, qu’on soit aussi impliqués dans la vie de la société en donnant quelque chose – comme on reçoit quelque chose dans le cadre de bourses, de résidences. »
Dans leur vision multiforme et touche-à-tout des choses, la création est un mode d’exploration, une aventure qui permet de ne pas se répéter et d’éviter la monotonie : « Nos sources de revenus sont multiples ; récemment, on a fait des lectures musicales à Stereolux. Si on était dans la position de Guillaume Musso – si on était millionnaires –, ça nous enfermerait davantage, on chercherait peut-être moins à se diversifier. » Et pour pouvoir publier des livres plus atypiques, des livres « bizarres » qui ne trouvent pas d’éditeurs, le couple a créé Monstrograph, une association de micro-édition qui leur permet, ainsi qu’à plusieurs autres auteurs, de faire exister leurs projets. Les artistes ont-ils vraiment besoin de manger ? a d’ailleurs été édité grâce à cette structure, ce qui permet d’ores et déjà à Coline et Martin de penser à une suite en incluant ce premier tome dans une collection à venir, consacrée aux artistes-auteurs scannés sous toutes les coutures (corps, couple, parentalité…)
Ne pas dissocier la création du plaisir
Leur rapport à la création est donc empreint de ce combat politique et idéo-logique, mais pas que. Coline affirme : « C’est beaucoup de joie essentiellement, même si parfois c’est dur financièrement ou difficile de toujours trouver l’énergie de créer. Mais c’est avant tout du plaisir. Et puis il y a cette idée d’interroger, de ne pas prendre le monde tel qu’il est, de remettre les choses en question, de remettre en cause les codes, les usages. Tout ce qui est peu pensé en fait. »
Martin ajoute : « La création, c’est aussi donner du plaisir. Il y a un aspect politique, mais il ne faut pas le dissocier du plaisir, de l’humour, du rire, de l’émotion. Ce n’est pas parce qu’on est dans une critique de la norme qu’on est du côté de l’aridité, de la sécheresse. Et pour autant, il faut défendre ce point : la création demande du temps. Si on a un métier à côté, c’est du temps qu’on va prendre soit sur nos heures de sommeil, soit sur nos vies de famille, et c’est un sacrifice. Et faire de la vie des gens qui sont des artistes une existence de sacrifices, devoir sacrifier des parts de sa vie, c’est un grand problème. »
Le mot de la fin sera donc pour tous ceux qui soutiennent concrètement les artistes : « Tous les gens, toutes les structures qui pensent la question de l’argent sont les alliés des artistes. Il faut les féliciter et les encourager ! »
Être auteur en 2019
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