Gérard Lambert-Ullmann lit Alphabet cyrillique de Jean-Claude Pinson, qui nous mène en voyage entre isbas russes et bourrines vendéennes, entre cristaux de neige et cristaux de temps.
Un “détachement féminin rouge” danse sur le sable de Tharon-Plage. Ce sont les 33 lettres de l’alphabet cyrillique qui servent d’étapes à Jean-Claude Pinson dans son voyage “à la lièvre” entre isbas russes et bourrines vendéennes, entre fleuve Amour boueux et Loire gelée de l’hiver 1954. Un voyage en forme de “pot pourri d’anecdotes, qui s’en vont zigzaguer en tous sens” depuis Croix de Vie où la poétesse Marina Tsvetaïeva en exil a vu des enfants babouchkas jusqu’aux steppes, montagnes, fleuves, forêts russes, hantées par l’Histoire tragicomique de cet immense pays et les chants multiples de ses poètes, romanciers, musiciens, peintres, danseurs.
D’aujourd’hui a hier et avant-hier, de Pouchkine à Poutine, de Prokofiev aux Pussy Riot, de Kandinsky à Alissa Kandinskaya, on suit la tribu de Cælebs, Aïe Ivanovitch, Beaudelaire, Giacomo, Lula le sage, à la traîne du ressuscité Lermontov, “Loup garou parmi les chiens”, qui fait le “tour de soi” en enfilant quelques milliers de verstes (вёрсты), en jouant à “loup glacé” entre les bouleaux aux “fûts de neige verticale” sur de la “neige sale et pas mal pochetronnée” en “rêvant d’intérieur aux aubergines” et en errant ébloui dans “la forêt ensorcelée des femmes (…) princesses callipyges en inhabituelle, industrielle quantité”.
Avec son style “parler morse”, entre Free Jazz et quatuor de Chostakovitch ; avec son sens de la couleur des mots (“jaune canari du mot russe pour maïs”), Jean-Claude Pinson nous mène à grandes enjambées, quoiqu’au rythme de poussifs tortillards, de cristaux de neige en “cristaux de temps” et de “poétariat” en espérance (Nadejda – надежда). Peu le temps de souffler (pas même sur le thé brûlant) mais beaucoup celui de rêver, et de sourire. Davaï, Davaï.
Jean-Claude Pinson, Alphabet Cyrillique, Champ Vallon, 360 pp., 24 €, ISBN 9791026700845