Victoria Horton demeure peu connue du grand public. Elle a pourtant écrit deux remarquables romans publiés chez Quidam, Grand ménage et Attachements, où le paysage provincial avait son importance, sa pesanteur, comme dans les romans de Mauriac.
Il s'agissait en l’occurrence du Loir et Cher où l'auteure a longtemps résidé. Résidant depuis au Mans, elle a publié en 2013 Pagaie simple aux éditions Les Contrebandiers, un ouvrage singulier de belle écriture, qui mérite plus d'attention qu'il n'y paraît, et a toute sa place dans cette rubrique .
Victoria Horton confie ici sa passion pour le canoë. Ce qui pourrait sembler anecdotique, nous laisser indifférent prend ici un intérêt géographique original, ainsi qu'une dimension poétique. Ce livre est une chronique de descentes de rivières calmes, la Basse Mayenne, la Sarthe et l'Huisne. Ceux qui ont vu le beau film de Bruno Podalydes, Comme un avion, auront une idée du charme de ce genre de promenades ? Progresser doucement par lents coups de pagaie, glisser silencieusement sous les frondaisons est un bonheur simple, à la portée de tous, mais que bien peu connaissent. C'est qu'on oublie souvent que de belles aventures sont parfois proches, et c'est la première leçon de ce beau récit de voyage. La pratique du déplacement ici n'est de toute évidence pas celle du touriste.
Ainsi peut-on lire page 170 : « sur l'Huisne... je ne voyage pas du tout, j'y habite... j'y reste avec conviction, mais par accident. C'est que je ne suis pas d'ici : cet ici est mon ailleurs. Je n'ai pas besoin d'aller loin, j'y suis déjà... Je ne vais pas où on me dit qu'il faut aller pour consommer du paysage, je me promène. Je me promène sur l'Huisne. »
Le grand intérêt du livre est aussi dans l'approche, la découverte d’un territoire par des chemins inattendus, ici des voies d'eau bien modestes, bien discrètes. Certes la Mayenne, ni la Sarthe qui ont donné leur nom à des départements ne sont des inconnues, mais l'Huisne appartient presque au registre des eaux étroites chères à Julien Gracq. J'en ignorais pour ma part l'existence.
Pourtant c'est passant par là qu'on entre dans les profondeurs du pays, et découvre ce qu'on ne connait pas parce qu'on ne l'a jamais regardé. C'est un art, une philosophie, un usage du monde réservé aux seuls vrais voyageurs. Stevenson, Thoreau, Nicolas Bouvier sont ici convoqués. C'est aussi une connaissance nouvelle, plus fine qui s'offre à nous . Celle d'un monde où se côtoient trois règnes : végétal, animal, aquatique, qui font la foisonnante vie secrète de notre territoire, l'extraordinaire richesse écologique de notre région.
Le peuple des pays de la Loire, c'est aussi le peuple animal avec lequel s'instaure un rapport de proximité fait d'étonnement réciproque : les troupeaux qui vous regardent passer, poissons furtifs, araignées d'eau, ragondins fuyant, héron en majesté. C'est encore l'homme des berges, pas toujours pour le meilleur : pourquoi a-t-il rasé les haies, fait disparaître les moulins, pourquoi ces ridicules aménagements pour touristes, ces « haltes fluviales » ?
Ce joli voyage auquel nous convie Victoria Horton est l'occasion d'être au cœur du pays dans ces villages qu'aucun guide ne signale mais dont les noms enchantent : Le Mêle, Croulard, Soligny-la-Trappe, le Petit Bouveuches.
Éloge du voyage autre, de la lenteur, amour d'un pays secret qui ne s'offre qu'à celui qui le désire doucement, ce petit livre est tout cela, en même temps qu'une histoire d'eau ! « C'est que reprendre l'eau n'est nullement anodin. Tant que nous ne saurons pas marcher dessus, tant que nous ne serons pas changés en poissons, nous n'y serons pas tout à fait chez nous. On ne connait jamais l'eau toute entière : chaque fois qu'on la quitte, elle se referme. Et puis le premier toucher de la pagaie dans l'eau suffit à faire battre le cœur et l'on voudrait ne jamais débarquer. »
C'est dans cette durée infinie qu'est le plaisir du voyage.