Ma terre natale est un fleuve, la Loire

Publié le 26/01/2016 par Jean-Luc Jaunet

Un commentateur avisé faisait remarquer, lors d’une présentation du Dictionnaire amoureux de la Loire, que cet ouvrage avait presque autant de pages que le fleuve a de kilomètres, qu’il était en quelque sorte à l’image de ce qu’il évoquait.

 

Il y a bien, en effet, dans le livre de Danièle Sallenave cette volontĂ© d’embrasser la Loire dans sa totalitĂ©, de la prĂ©senter dans toute l’étendue de son cours, de sa, ou plutĂ´t de ses sources, Ă  son estuaire nazairien ; de ne dĂ©laisser aucune des citĂ©s dignes d’intĂ©rĂŞt qui jalonnent ses rives ; de dire la variĂ©tĂ© de ses paysages, « des sites mouvementĂ©s Â» de ses dĂ©buts aux  vastes coulĂ©es de sable, en aval, « coupĂ©es l’étĂ© de quelques bras d’eau Â», changĂ©es l’hiver en « plaine liquide Â». Les grandes pages d’Histoire qui ont eu la Loire pour théâtre et qui se confondent souvent avec les grandes heures de la France trouvent aussi leur place dans l’ouvrage, tout comme l’histoire des humbles, des « anonymes Â», des petites gens aux mĂ©tiers parfois disparus,  qui, au contact du fleuve, ont fait naĂ®tre sur ses bords une « civilisation de la Loire Â», un vĂ©ritable « art de vivre Â». « Je voulais, dit Danièle Sallenave, rendre l'hommage le plus complet, le plus juste, le plus rigoureux possible Ă  tous ceux qui ont fait l'histoire de la Loire, sa culture, ses paysages Â».

On trouvera donc dans ce dictionnaire la prĂ©sentation, toujours attendue quand on Ă©voque la Loire, des châteaux prestigieux – Amboise, Azay-le-Rideau, Chambord, Chenonceau, Cheverny,… des Ă©crivains qui font de ce fleuve un merveilleux ruban de littĂ©rature : Rabelais, Du Bellay, Ronsard, Balzac, George Sand, Charles PĂ©guy, Maurice Genevoix, Louis Aragon, Julien Gracq, et beaucoup d’autres… Ne sont pas oubliĂ©s les grandes figures, artistes, philosophes, savants, hommes politiques qui, eux aussi, par delĂ  leurs liens avec la Loire, ont contribuĂ© Ă  dessiner au fil du temps l’image de la France, Ă  forger son identitĂ© : Richelieu, LĂ©onard de Vinci, Descartes, le trop oubliĂ© Jean Zay, ministre de l’Éducation nationale et des Beaux-arts durant le Front populaire, assassinĂ© en juin 1944.

Le genre du dictionnaire, mĂŞme s’il s’agit d’un dictionnaire « amoureux Â», avec son organisation en entrĂ©es, ses contraintes de longueur et d’équilibre entre les diffĂ©rents articles, pouvait faire craindre une certaine sĂ©cheresse du propos, une enfilade de fiches soigneusement documentĂ©es mais plus ou moins impersonnelles. Il n’en est absolument rien et c’est lĂ , sans doute, plus encore que dans la formidable accumulation des savoirs contenus dans le livre, que rĂ©side son puissant attrait. Un grand nombre de notices, en effet, font la part belle aux souvenirs personnels, Ă  l’expression de vifs attachements pour un site, un vin, - le Savennières, bien sĂ»r ! -, « une  couleur, un mouvement du ciel chargĂ© de nuages d’ardoise sombre au dessus des toits d’ardoise claire Â», « une fin d’après-midi de juillet ou d’aoĂ»t ; quand la lumière descend sur le fleuve Â» et que « les conversations s’éteignent Â», laissant le paysage pĂ©nĂ©trer « le mieux dans l’âme et le cĹ“ur : par tous les sens Â». L’évocation de châteaux comme Saumur ou Azay-le-Rideau fait affleurer des images d’enfance, tout comme l’église de Cunault fait ressurgir tout un pan d’adolescence en mĂŞme temps que le radieux souvenir d’un professeur admirĂ©. A l’opposĂ©, l’auteur ne cache pas les fortes rĂ©serves que lui inspirent toutes les initiatives qui, au prĂ©texte de crĂ©er une « animation culturelle Â» le long du fleuve, abĂ®ment non seulement la Loire et ses abords, mais aussi la rencontre, la communion affective, sensible, des habitants, des visiteurs avec des lieux dont la beautĂ© se suffit amplement Ă  elle-mĂŞme.

Chez Danièle Sallenave, toutefois, la dĂ©nonciation de ces excès de « management culturel Â» inhĂ©rents Ă  notre temps comme la revue de tout ce qui a disparu : petits mĂ©tiers, objets, coutumes et traditions liĂ©s Ă  un mode de vie ancien, etc. ne suscitent aucun repli vers un passĂ© idĂ©alisĂ©, aucune pulsion rĂ©gressive vers un âge d’or Ă  jamais aboli. S’il y a nostalgie, il s’agit comme elle le dit, d’une « nostalgie active Â», celle d’une certaine relation au fleuve et, par delĂ , au monde ; la nostalgie non pas de rĂ©alitĂ©s rĂ©volues mais d’une manière d’être, d’une qualitĂ© de rapport aux lieux, aux choses et aux ĂŞtres qui pourrait, qui peut sans doute encore, nous aider Ă  apporter sens et bonheur Ă  notre existence.