Henry James et La Loire

Publié le 19/09/2016 par Gérard Lambert-Ullmann

Voyage d'Henry James le long de Loire : « il n’y a pas meilleure compagnie qu’un grand fleuve quand on suit une grande route ».

En 1877, l’écrivain Henry James, qui a alors 34 ans, décide que : « Nous autres, bons Américains - je dis cela sans la moindre présomption - n’avons que trop tendance à identifier la France à Paris ». Il décide de se lancer dans un voyage dans « le doux pays de France » (il a des lectures !). En fait il visitera presque tout le pays au sud de Paris, en commençant par la Loire le long de laquelle il s’attarde tranquillement. Dans le livre qu’il consacrera ensuite à ce « Voyage en France » (A little tour in France) le récit concernant la Loire occupe une longue première moitié car « il n’y a pas meilleure compagnie qu’un grand fleuve quand on suit une grande route ».

Avec ce livre Henry James s’installe à une place très honorable au côté d’écrivains voyageurs tels que Flaubert ou Stevenson. Il y a dans son récit toute la finesse d’un observateur attentif et sensible, servie par une plume d’une grande élégance et un humour anglo-saxon très pince sans rire. De Tours à Nantes, en faisant un détour par Le Mans, aucune ville, aucun château, aucune cathédrale, ne lui échappent. Partout on plonge dans la grande Histoire : Le Duc de Guise, Henri IV, Saint Louis, Fouquet, La Duchesse Anne, Carrier, Rabelais, Descartes, Scarron, Guizot, Gambetta, Balzac et bien d’autres, nous aident à sentir ce qui s’est vécu autrefois dans les lieux visités et à rendre aux pierres sculptées toute leur âme. « Franchissez cette porte pour entrer dans la cour et le XVIème siècle se referme sur vous.» 

Mais c’est sans aucune pédanterie qu’Henri James raconte ce qu’il voit et ressent. Au fil du récit les stupidités des rois sont aussi étrillées que leur grandeur est saluée. Et les monuments ne sont pas les seules choses qui attirent son attention. Il sait aussi remarquer qu’ « il y a des maisons qui sont des théâtres ». Il prend le temps de s’arrêter pour écouter les bâtiments « qui ont quelque chose à dire » quelle que soit leur importance officielle. Car « si un chat peut regarder un roi, un palais peut bien regarder une taverne ». D’ailleurs il peste contre les « améliorations modernes » des villes « retapées » pour plaire aux touristes (déjà !) et qu’il qualifie d’ « attrape-nigauds ».

Illustration de "Voyage en France, d'Henry James

Surtout, il sait être attentif aux gens. Depuis la « délicieuse vieille dame à la moustache hérissée et aux charmantes manières » jusqu’au « commis voyageur » qui « a de grosses mains et coince sa serviette dans le col de sa chemise » et qui fait preuve « étonnamment peu de cette bonne humeur démonstrative qu’il est censé posséder », en passant par le valet d’auberge dont « l’urbanité s’exprimait par un murmure inarticulé qu’il émettait du matin au soir comme le ronflement d’une toupie », c’est toute une galerie de portraits joliment dessinés qu’il nous donne à voir. Et lorsqu’à Chenonceau il croise un gondolier qu’il a connu lors d’un séjour à Venise, on se régale de la manière pimpante dont il raconte la chose : « Je suis heureux de pouvoir dire que je cessai vite d’être coupable de la grossièreté de ne pas savoir où je l’avais vu. Il n’y a qu’un endroit au monde où l’on sourit ainsi, un seul endroit où l’art de la salutation atteigne à cette grâce parfaite ». 

Enfin, il fait des remarques qui n’ont rien perdu de leur pertinence : « Les gouvernements se succèdent et courtisent le succès par des moyens divers mais le « soutien des arts » est, pourrait-on dire ici, un numéro que l’on retrouve dans tous les programmes. Les œuvres d’art sont souvent mal choisies (Il y a un goût officiel que l’on reconnaît immédiatement) mais c’est une noble coutume et un gouvernement qui y manquerait donnerait l’impression d’être douloureusement vulgaire. »

 

Il faut donc se mettre dans les pas d’Henry James sans craindre la moindre déception. Ce qui ne serait d’ailleurs pas grave car, comme il a su le remarquer judicieusement: « Il existe parfois un plaisir à risquer une déception ».

 

 

Henry James, Voyage en France, Robert Laffont, 282 p. 15,50 €, ISBN 978221050293 et Pavillons poche, 384 p. 9,50 €, ISBN 978221191798