La table des nantais et Le parfum de Nantes sont deux superbes explorations de la vie de cette ville et de ses habitants oĂą l'on apprend que Gustave Flaubert adorait se goinfrer de salicornes.
Deux livres, un lieu : Nantes
Voilà deux petits livres bien illustrés, à belle reliure cartonnée, qui ravivent l’intérêt pour Nantes et son histoire. Le premier, La table des nantais, retrace, depuis l’époque gallo-romaine, l’évolution des habitudes alimentaires dans la ville et la manière dont elles ont accompagné et influé les modes de vie.
Loin d’être un simple recensement des plats caractéristiques de la cuisine nantaise, ce livre est une véritable exploration de toute la vie de cette ville et de ses habitants. On y voit comment cette cuisine, issue des spécificités régionales de l’agriculture, de l’élevage, de la chasse et de la pêche, a pu en retour conditionner des comportements, des formes de sociabilité, une économie, toute une culture.
Le rôle premier de la pêche puis l’importance du négoce maritime favorisant l’usage des épices, du café, du thé, du chocolat et, surtout, du sucre, sont analysés au fil d’anecdotes édifiantes. On découvre le travail dans la cuisine du château de François II (père d’Anne de Bretagne) qui organisait d’énormes banquets, manière pour lui de manifester son pouvoir en plus de se goberger. Puis viennent d’autres banquets, “Républicains” ceux-là , jusqu’en 1848, corporatifs et associatifs ensuite, dans lesquels les discours étaient aussi importants que les repas qui n’étaient toutefois pas frugaux comme en témoignent des menus aux illustrations flamboyantes.
On apprend tout sur les “grous” et les “échaudées”, le beurre blanc de Clémence et les berlingots de la maison Bernardin. Et, bien sûr, on plonge dans la saga du P’tit Lu, lyriquement évoqué par le poète Francis Ponge. Les écrivains sont d’ailleurs largement mis à contribution : Balzac, Flaubert (se goinfrant de salicornes), Vallès, Jules Verne, nous font part de leurs régalades.
Le livre se termine par de nombreuses recettes car il est bien évident qu’après avoir été si bien mis en appétit il va falloir se mettre à table.
Dans le même esprit, Le parfum de Nantes est une superbe balade parmi les odeurs qui, hier encore, flattaient ou irritaient les narines des nantais et permettaient une véritable anthropologie de la ville en distinguant les quartiers selon les activités dominantes, dont témoignent toujours de nombreuses plaques de rues : rue de la Cigarière, rue de la Biscuiterie, etc.
Depuis le quai de La Fosse qui “cocottait” le parfum bon marché des dames de “petite vertu” que seule l’odeur charbonneuse du train pouvait faire reculer, jusqu’aux odeurs des marchés à bestiaux, des lessives des lavandières, des soupes des mariniers, du vin des bistrots, des fritures des guinguettes, des gaufres des fêtes foraines, des fleurs du Jardin des plantes, des marronniers des cours de récré, de l’encens de la cathédrale, du goudron des chantiers, du fleuve et ses poissons, c’est toute une mémoire olfactive qui est mise à contribution pour nous conter la ville et ses remous.
Les poètes, les romanciers nous charment de leurs souvenirs aussi précis qu’élégants. Jacques Baron, Camille Bryen, Paul Nizan, Paul-Louis Rossi et, bien sûr, Julien Gracq nous promènent joliment dans le monde des odeurs perdues. Car, aujourd’hui, bien des activités ont cessé de parfumer la ville, et la pollution étouffe ce qui reste. Mais, grâce à ce livre, les odeurs de Nantes renaissent et notre esprit, à défaut de notre nez, s’en délecte.
Aude Cassayre, Hervé Yannou, La table des nantais, D’Orbestier, 158 p. 15 €, ISBN 9782842381714.
Patrice Allain, André-Alain Morello, Christine Grillo, Xavier Armange, Le parfum de Nantes, D’Orbestier, 158 p. 15 €, ISBN 9782842381707.