Lecture. Glissement de pratiques

Publié le 13/12/2019 par Claire Loup

La pratique de la lecture est non seulement conditionnée par son histoire et son évolution au fil des siècles dans notre société, mais aussi par les caractéristiques sociales propres aux lecteurs.

Longtemps contrôlée par les censeurs de la société, qui voyaient dans sa pratique un acte potentiellement subversif, la lecture a trouvé sa place au centre de l’institution scolaire et des activités « nobles » à la faveur de facteurs tels que l’alphabétisation de masse apparue au xixe siècle, la hiérarchisation culturelle des références littéraires, et le développement de la presse et des livres de poche au cours du xxe siècle. Or, des discours inquiets pointent de nos jours le danger d’une pratique en voie de disparition.

Claude Poissenot, auteur du passionnant Sociologie de la lecture, l’affirme pourtant : 

« Jamais une fraction aussi large de la population n’a disposĂ© d’autant de compĂ©tences et de supports de lecture. » En rĂ©alitĂ©, il apparaĂ®t Ă  travers diverses Ă©tudes et statistiques que, certes, les lieux et pratiques de lecture anciennement valorisĂ©s (bibliothèques, Ă©coles, imprimĂ©s…) peinent Ă  conserver leur place face Ă  l’explosion de nouveaux supports (Ă©crans) et de nouveaux espaces (ateliers, fab labs), mais que la capacitĂ© Ă  dĂ©chiffrer un texte se porte bien ! Il n’y a donc pas de rĂ©gression, mais plutĂ´t un renouvellement des codes et usages, indissociable de la question sociale qui entoure la personne du lecteur, notamment : « avoir eu au moins un parent lecteur rĂ©gulier augmente sensiblement la probabilitĂ© de le devenir soi-mĂŞme ». Pourtant, cela n’empĂŞche pas qu’à la fin du collège, mĂŞme chez les gros lecteurs, la lecture soit « progressivement remplacĂ©e par la radio et l’ordinateur ». De plus, les Ă©tudiants scientifiques – rĂ©putĂ©s les meilleurs – accordent une place parmi la plus faible au livre et Ă  la lecture. L’auteur parle « d’étudiants relevant de l’élite scolaire et adoptant des pratiques culturelles observables dans les catĂ©gories populaires ». Il ne suffit donc pas d’être « Ă©duquĂ© » pour lire.

Ces paradoxes, ces glissements de pratiques au sein de sociĂ©tĂ©s en mutation perpĂ©tuelle, sont au cĹ“ur des rĂ©flexions menĂ©es dans Sociologie de la lecture, qui s’attache Ă©galement Ă  chercher les points de convergence entre les lecteurs dans leurs expĂ©riences de lecture : « SpĂ©cialistes de littĂ©rature ou lecteurs â€śordinaires” […] nourrissent les textes de significations qui n’y figurent pas et qui leur sont propres. […] C’est dans sa capacitĂ© Ă  toucher la singularitĂ© de chaque lecteur que se loge une partie du sens de la lecture aujourd’hui. »

D’après Sociologie de la lecture, de Claude Poissenot, Armand Colin, 2019.

Cet article est lié à

Qui sont les lecteurs ?

Publié le 13/12/2019

D’après le dernier baromètre réalisé par le CNL sur les pratiques de lecture en France, on s’aperçoit que les perceptions et…

Lire la suite