Marie Boisgontier : C'est un beau roman...

Publié le 09/07/2015 par Sophie Pilven
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À quelques pas de sa librairie lavalloise, Marie Boisgontier parle des derniers phénomènes d'édition et la collection de Pléiade qui s'étend, imposante, derrière le comptoir de sa boutique, avant d'évoquer son parcours littéraire. Celui d'une lectrice aux aguets, qui ne s'efface jamais derrière la libraire. Toutes deux vivent en bon voisinage. Il arrive sans doute que l'une prenne le pas sur l'autre. Quant à savoir laquelle...

Quelles lectures ont jalonné votre parcours de lectrice ?

C'est sans doute La guerre des boutons de Louis Pergaud qui a fait de moi une lectrice. Les histoires de gamins qui se battent et la rivalité entre deux camps, ça a vraiment fait tilt chez moi. J'avais 13 ou 14 ans à l'époque. À partir de ce moment, les livres ne m'ont plus quittée et je n'ai plus quitté les livres. Jeune, j'ai été happée par Voyage au bout de la nuit de Louis-Ferdinand Céline. C'est pour moi un grand roman initiatique dans lequel le héros se situe entre les mondes de Chaplin et de Kafka. Puis il y a eu Bonjour tristesse de Françoise Sagan, qui a marqué ma génération. Je l'ai relu il n'y a pas très longtemps, et je l'ai trouvé un petit peu désuet. Mais à l'époque, ce livre m'a aidée dans ma démarche de lectrice et de libraire.

 

Parmi les auteurs contemporains, lesquels lisez-vous ?

Je lis principalement du roman. Je suis une inconditionnelle de Patrick Modiano. Et ce n'est pas parce qu'il a eu le prix Nobel de littérature ! Je conseillais l'autre jour à une cliente de prendre les livres de Modiano comme guide touristique pour visiter Paris, tant ses descriptions sont belles. Ma préférence va pour La Place de l'Étoile, qui dépeint Paris sous l'Occupation. J'ai lu tous les livres de Katarina Mazetti. Selon moi, Ma vie de pingouin, qui évoque les méfaits du voyage, est LE roman à lire cet été. Et j'adore Russel Banks. Son dernier recueil de nouvelles, Un membre permanent de la famille, est magnifique. Il est pour moi l'un des meilleurs auteurs américains contemporains, plus reconnu d'ailleurs en France que chez lui. J'aime ses personnages sur le fil du rasoir, sa façon de raconter la société américaine et ses évolutions.

Arrivez-vous à lire uniquement pour le plaisir ?

L'approche professionnelle du libraire ressort toujours. En lisant un livre, je pense aux clients à qui il pourrait plaire. Quand j'ai commencé à travailler en librairie, je lisais presque tout ce qui me passait entre les mains. Maintenant, je prends plus de temps pour la lecture plaisir. Je ne lis que les auteurs que j'aime. Ça ne m'empêche pas de faire des découvertes, mais je reste dans mes littératures.

Finissez-vous tous les livres que vous lisez ?

À l'issue des trois premiers chapitres, je décide de continuer ou de fermer le livre. Si j'ai le sentiment que je n'apprendrai pas grand-chose en allant jusqu'au bout, je laisse tomber. En revanche, lorsque j'aime un livre, je le relis au moins deux fois. On s'apprête à recevoir à la librairie Léonor de Recondo, auteure de Pietra viva, une plongée dans la vie de sculpteur de Michel Ange. Je l'ai lu à trois reprises et à chaque fois, j'ai eu le plaisir de la lecture. Je le relis page par page, à intervalles réguliers. L'écriture est très musicale, très fluide. On y replonge avec bon cœur, on retravaille et on redécouvre le texte.

 

Dernièrement, quels ouvrages vous ont marquée ?

J'ai lu Toute la lumière que nous ne pouvons voir d'Anthony Doerr, qui se vend très bien dans l'Ouest et dont l'action se déroule à Saint-Malo. Je l'ai découvert avec son premier roman, À propos de Grace, que j'ai trouvé superbe. Doerr sort son deuxième livre, qui rencontre un succès mondial, couronné par l'obtention du prix Pulitzer. C'est comme ça, il y a des romans qu'on a envie de défendre même s'ils n'ont pas besoin d'être défendus. J'ai aussi été séduite par le dernier Régine Detambel, Les livres prennent soin de nous. Dans cet essai sur le métier de libraire et de bibliothécaire, elle évoque les ouvrages qui font du bien à leurs lecteurs et convoque des références de lecture qui parlent à tout le monde.

Un libraire est-il un lecteur comme un autre ?

Je ne crois pas. En tant que libraire, ce n'est pas parce qu'on a aimé un livre qu'on sera capable de le vendre. C'est ce que j'explique à mes apprentis libraires. J'ai beaucoup aimé le premier roman d'Alice Ferney, Le ventre de la fée, l'histoire d'une femme enceinte qui imagine accoucher d'une figure digne d'Hitler, de quelqu'un d'horrible... Mais je n'ai jamais pu le conseiller à qui que ce soit, parce qu'il est très difficile de faire passer un message à propos de cet ouvrage. On me l'a demandé, je l'ai vendu, mais jamais je n'ai pu le conseiller. C'est un dur métier, quand même !

 

La librairie M'lire
Voilà 16 ans que Marie Boisgontier est à la tête de la librairie historique et centenaire du centre-ville de Laval. Librairie indépendante et généraliste, M'lire est spécialisée en jeunesse (membre des librairies Sorcières), en bande dessinée (librairie Canal BD) et en littérature (librairie Initiales).

En septembre dernier, Marie Boisgontier s'est lancée un nouveau défi : ouvrir une librairie dans le centre-ville de Château-Gontier. Moins d'un an après son inauguration, M'lire Anjou est en train de réussir son pari.

Librairie M'lire, 3 rue de la Paix à Laval / Librairie M'lire Anjou, 10 place Paul Doumer à Château-Gontier