Pour un musicien, la littérature est aussi une question de rythme et de son. Guillaume Belhomme nous a confié que pour lui, le “rythme est plus important dans l’écriture que dans la lecture”.
Difficile de définir ce lecteur curieux de tout : musicien, journaliste, écrivain et éditeur. Nantais d’origine, Guillaume Belhomme forme dans les années 90 le groupe Gypsophile qui sortira plusieurs albums sous différents labels, et qui défend une musique pop puis jazz. Le jazz prend une place importante et en 2004, il signe ses premières chroniques sous le pseudonyme de Grisli et collabore aux Inrocks, Jazz Hot et Mouvement, entre autres revues. En 2013, il relance les éditions Lenka Lente.
Lecteur (ou dévoreur) d’ouvrages sur la musique, il n’hésite pas à aller puiser et exhumer des textes et des auteurs du début du XXème siècle. Se souvenant de sa lecture d’étudiant de Charles-Louis Philippe (1874-1909), dont La mère et l’enfant l’avait particulièrement touché, il confie : “récemment, j’ai rouvert une anthologie de textes parus dans La Revue Blanche et suis tombé sur deux de ces faits divers. En cherchant un peu, j’en ai trouvé quelques autres, qui avaient été rassemblés en un volume dans les années 1920 avant d’être oubliés. Je crois qu’ils valaient bien d’être réédités.”
Autre lecture qui a nécessité des fouilles littéraires, la lecture de La courte autobiographie d’Adolf Wölfi(1864-1930) qu’il éditera par la suite. La littérature du début de siècle a sa préférence et quand il édite André Salmon (1881-1969) ou Félix Fénéon (1861-1944), les livres sont accompagnés de la musique de Nurse With Wound car c’est “un groupe qui défend depuis longtemps une esthétique fin-de-siècle qui correspond à mes goûts en matière de littérature.”
L’idée d’associer lecture et musique remonte aux débuts de Lenka Lente : “Dans une autre vie (ou presque), j’ai été musicien et c’est en tant que musicien – non content des compromis que tel ou tel label me demandait de faire – que j’ai créé Lenka Lente. Quand, en 2013, j’ai relancé les éditions, ce n’était plus pour publier des disques mais des livres. Mais j’ai été rattrapé par mon goût pour les disques et, dans le premier livre édité par Lenka Lente, L’enveloppe, j’ai inséré un petit disque. L’enveloppe est une courte histoire de revenant et j’ai demandé à Michael Esposito, un musicien américain qui traque les fantômes (ou, au moins, les atmosphères étranges) pour composer à partir de phénomènes de voix électronique (EVP), de l’illustrer. Après cette expérience, j’ai trouvé qu’il serait intéressant de demander à des musiciens d’illustrer tel ou tel texte, qu’ils soient contemporains ou non.”
Le choix de la musique accompagnant les textes est essentiellement dicté par le texte lui-même, mais Guillaume Belhomme souhaite conserver le mystère sur l’association des deux.
Dernièrement, il a découvert un trésor de lecture : “quatre courts poèmes du saxophoniste Martin Küchen. C'est en Suédois, auquel je ne comprends rien, mais c'est très joli : Jag är en död människa / Som stirrar över sin egen axel, etc. Je ne vous révèle pas la suite de peur de trop en dire. Les textes, accompagnés d'un disque et illustrés par l'artiste Johannes Heuer, devraient paraître à l'automne prochain.”
Quand il aime un auteur ou un texte, Guillaume Belhomme le partage en l’éditant. Il reconnait cependant que “les livres publiés sans disque (qui ont pour sujet l’improvisation musicale, le jazz créatif ou des figures comme John Coltrane, Sonic Youth, Jackie McLean) intéresseront essentiellement des lecteurs avertis. L’association livre-disque peut, je pense, intéresser davantage de monde. Qui sait, tel amateur de Nurse With Wound découvrira peut-être la littérature de Salmon ou celle de Philippe, et tel fanatique de la Beat Generation pourrait bien apprendre l’existence du guitariste inspiré qu’est Bill Nace… Bref, pour résumer : si le grand public n’est pas mon affaire, je veux quand même bien faire des efforts.”
Guillaume Belhomme ne brouille pas les pistes, il s’amuse, mais derrière cette apparente décontraction, se cache un vrai passionné touche-à-tout qui reprend l’écriture d’un roman après avoir publié chez Densité un livre sur le disque Loveless du groupe irlandais My Bloody Valentine. Et quand on lui demande si l’adjectif “bouillonnant” semble lui correspondre, il répond par cette pirouette : “Ce n'est pas très joli, bouillonnant. À moins que ce ne soit une allusion au bouillon Duval, de notre ami Léon Léauthier ? Alors disons : agité du bouillon”.
Quand on vous dit que Guillaume Belhomme brouille les pistes – non, il s’amuse…