Dans les eaux profondes de la littérature avec le poète Yves Leclair

Publié le 20/12/2018 par Christine Tharel
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Pour se définir, Yves Leclair a volontiers recours à une métaphore marine : le lecteur de fonds est celui qui navigue dans les eaux profondes de la littérature, qui ne suit pas forcément le courant, qui ne reste pas en surface, mais s’enfonce toujours plus loin. Et, bien entendu, c’est aussi celui qui a une pratique quotidienne de la lecture. Cette passion va grandissant sans que jamais il ne ressente une sensation de saturation ni de satiété.

Parcours de lecteur, souvenir des premières lectures 

Ses lectures d’enfance sont assez floues. C’est sa mère institutrice qui lui apprend à lire. À ses côtés, il se plonge dans des livres d’histoire illustrés. Mais ce qu’il aime d’emblée, c’est la poésie, celle de Verlaine. Puis, par la version latine, il accède aux auteurs classiques : l’affaire Catilina, Cicéron, Lucrèce, Horace, Virgile, etc. Interne, il puise dans la bibliothèque du lycée. En dehors de toute contrainte scolaire, il lit Ronsard et Du Bellay, puis Rabelais.

Il découvre le surréalisme, synonyme pour lui de liberté de ton et d’esprit : Breton, Éluard, Desnos, Char l’ont beaucoup marqué. Sa rencontre avec Yves Bonnefoy, à qui il a consacré une  thèse, est décisive dans son parcours de lecteur et d’auteur. Il rencontre P.-A. Jourdan, Réda, Jaccottet, Piroué, Claude Vigée, Loránd Gáspár, Pirotte et les poètes surréalistes belges.

Dès 1975, Yves Leclair se tourne vers la création littéraire. Il collabore notamment à la NRF.

La lecture, une nourriture au quotidien

Il a toujours plusieurs lectures en chantier. Dernièrement, il a relu les œuvres complètes de Baudelaire pour un travail critique en cours.

Son esprit a besoin d’un temps de lecture quotidien comme d’une nourriture. Il privilégie la lecture en soirée, moment où il est le plus alerte. C’est pour lui un temps privilégié.

De la lecture utile ?

S’il lit parfois pour répondre à des commandes (articles, critiques, notes de lecture), c’est toujours avec passion et conviction. Il fonctionne « à l’estime et beaucoup au feeling ». Il ne se force jamais à lire un auteur qu’il n’apprécie pas. Mais il peut lire et relire Balzac indéfiniment pour sa richesse et sa modernité ainsi que son approche dénuée d’idéologie, la précision de son regard. 

Auteur de journaux poétiques, Yves Leclair est lui-même grand lecteur de ceux des autres (Léon Bloy, Georges Haldas, Charles Juliet, etc.). 

Il n’est pas attiré par la littérature divertissante, facile, même quand elle est bien écrite. Il ne recherche pas à tout prix l’actualité littéraire même s’il en est très informé. Mais ce n’est en aucun cas une posture, c’est juste qu’il progresse librement. Pour choisir ses lectures, il procède plutôt « par aiguillage et filiation, par maillage, par fraternité », par échanges et conseils.

C’est ainsi qu’il a découvert Léon Bloy avec Le Désespéré, un auteur mal compris, regrette-t-il, et qui mériterait d’être redécouvert. Côté poésie, Jacques Réda, Paul de Roux, Guy Goffette, Kenneth White, Robert Marteau, André Velter ou Lionel Ray sont les noms qui lui viennent spontanément. Pour les romanciers : Marguerite Duras, Annie Ernaux, Le Clézio, Modiano, Pierre Michon (La grande Beune), Yourcenar, Bauchau, etc. Il cite encore Louis Calaferte, un auteur qui l’a toujours accompagné.

Il a rencontré et côtoyé Philippe Jaccottet, Christian Bobin, Charles Juliet, Michel Jourdan, etc. dont il a suivi l’œuvre pas à pas. Voilà ce qui l’intéresse : suivre la construction d’une pensée et d’une œuvre.

Côté littérature étrangère, la littérature russe vient en premier 

C’est un grand admirateur des nouvelles et du théâtre de Tchekhov, de Joseph Brodsky, mais aussi des poétesses Anna Akhmatova, Marina Tsvetaïeva. Ce sont ses auteurs nourriciers. Il trouve chez eux « une nudité d’être, une vérité du sentiment, une crudité, une absence d’artifice. Chez les auteurs russes on est face à la misère comme à la beauté du monde. »

La littérature chinoise antique (poètes bouddhistes de la Chine ancienne), la  poésie japonaise (haïku), la littérature américaine de la fin du XIXe et les auteurs de la beat generation figurent également à son panthéon. Kerouac, Thoreau, John Muir lui sont essentiels pour leur rapport à la nature. 

Il faut lire Pasolini, un des plus grands, un monstre de pensée ! 

Yves Leclair est donc un lecteur exigeant et passionné qui recherche avant tout « une envergure de la pensée et une puissance du style » sans rien céder à l’air du temps, un lecteur gourmand et qui a le goût de la transmission. Revenant à sa métaphore marine, il conclut qu’il aime « les auteurs tsunami et lame defonds» ! 


Yves Leclair est un écrivain, essayiste et poète né de parents instituteurs, en Anjou, en 1954. Après des études de musique et de lettres (doctorat de littérature française), il  s’est tourné vers la création littéraire.

Yves Leclair a publié des journaux poétiques, des récits et des essais, notamment au Mercure de France et chez Gallimard. Il a reçu le prix 2009 de poésie de l’Académie littéraire de Bretagne et des Pays de la Loire pour l’ensemble de son œuvre et le prix de poésie Alain-Bosquet 2014 pour son recueil de poèmes Cours s’il pleut (Gallimard).