Dominique A, un lecteur impatient

Publié le 26/01/2016 par Alain Girard-Daudon
Dominique A
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Matin d'été au bord de la Loire. Il a choisi de vivre là. Son disque, Éléor, et sa tournée sont un succès. L'un des artistes majeurs de la scène française est avec nous, simple et souriant. Et parce que c'est simple, on se tutoie.

L'idĂ©e que tu sois un grand lecteur te convient ?

Je lis plus que la moyenne des gens, j'achète plus de livres que je ne pourrai en lire dans ma vie. C'est une quête sans fin. Quand je pars en tournée, je laisse toujours un tiers de vide dans mon sac. Si j'ai deux heures devant moi dans une ville, je cherche la librairie.

Dans « Ă‰piphanies Â» publiĂ© dans la NRF, tu Ă©voques ton amour des librairies.

Dans le 9ème, il y a une toute petite librairie, entre Pigalle et Anvers, qui fait pas mal de poĂ©sie. J'ai achetĂ© Akhmatova, Rose Ausländer, dĂ©couverte il y a peu et que j'adore ! C'est frĂ©nĂ©tique, pas raisonnĂ©. Il y a cette mauvaise foi de me dire « je vais le lire Â», mais ce n'est pas possible, Ă  moins de ne faire que ça, et cette peur de passer Ă  cĂ´tĂ© du livre qui va peut-ĂŞtre changer la vie.

Tu lis beaucoup de poĂ©sie. Je pense Ă  cette belle chanson : Marina.

Les livres de poĂ©sie, je peux sans arrĂŞt les rouvrir, j'ai l'impression Ă  chaque fois que c'est un territoire vierge. La poĂ©sie traduite, c'est dĂ©licat, ce n'est que l'ombre du poète, mais quand l'ombre est belle, je m'en contente. Chez Marina Tsvetaieva, ce qui me sĂ©duit au-delĂ  de son Ă©criture, c'est sa destinĂ©e. Ma chanson, c'est une façon de parler au-delĂ  d'elle, de la question de l'art en des temps troublĂ©s. Qu'est-ce que c'est, faire de la littĂ©rature, quand on doit avant tout subvenir Ă  ses besoins ?  Nombre d'auteurs vivent des situations compliquĂ©es, mais nous ne sommes pas en temps de guerre ou de famine. Tsvetaieva, c'Ă©tait ça. Sa poĂ©sie Ă©tait contrariĂ©e par la nĂ©cessitĂ© et la maladie.

Quand est-ce que tu viens Ă  la lecture ? Ă€ Provins, oĂą tu t'ennuies Ă  mourir ?

Dès que je sais lire. Chez mes parents il y avait une bibliothèque. C'est cette envie de faire comme les grands, de vieillir plus vite. Mes premiers souvenirs ça doit ĂŞtre Spirou et Enid Blyton. Mais le premier livre de littĂ©rature qui m'ait marquĂ©, c'est Le grand Meaulnes, vers 12 ans, dans un cadre scolaire, alors que j'ai tendance Ă  fuir les classiques. C'est restĂ© comme un point d'ancrage, un livre important que j'ai relu plusieurs fois, qui a fait tâche d'huile sur ma vie. Cette image de  Meaulnes qui avance sur le sentier, je la mets en rapport avec les musiques que j'ai aimĂ©es. C'est l'adolescent rebelle, le grand-frère Ă©claireur. Ma première rĂ©fĂ©rence littĂ©raire.

C'est vers trente ans que je suis devenu un grand lecteur, en venant Ă  la littĂ©rature contemporaine, en m'apercevant de sa vitalitĂ© (avant je ne lisais que des morts, comme si un bon Ă©crivain Ă©tait forcĂ©ment un Ă©crivain mort !). Ça a changĂ© avec un bouquin de Dominique Fabre, achetĂ© par hasard. Un jour de pluie, me rĂ©fugiant dans une librairie, je suis tombĂ© sur ce livre : Celui qui n'est pas lĂ . Le titre m'a interpelĂ©, je l'ai achetĂ© et dĂ©vorĂ©. Ça m'a fait prendre conscience que la littĂ©rature ce n'Ă©tait pas que colonnes marbrĂ©es et temples grecs, mais quelque chose de vivant. Finalement j'avais un point de vue très scolaire sur la littĂ©rature.

Je ne suis pas un lecteur classique. Quand j'aime le livre d'un auteur, j'ai tendance à ne pas vouloir aller au-delà. Il y a des exceptions, mais je ne cherche pas à lire d'œuvres complètes. Tu m'as vu faire quand je rentre dans une librairie, j'y vais à l’aveugle. Je navigue à vue. J'y passe du temps.

C'est ça aussi le plaisir d'une librairie

Tout Ă  fait. J'ouvre le livre et je vois si le rythme de la phrase me convient, si je m'y « coule Â» bien dès la première page, s'il y a quelque chose qui Ă©pouse mon rythme de lecture. Je ne choisis pas forcĂ©ment un livre en fonction du sujet. Avec le temps, je fuis les Ă©popĂ©es ou les sagas. J'ai une impatience de lecteur, je ne peux pas passer un mois sur un livre. J’accepte de me laisser freiner, si c'est Seebald, parce que la matière est riche. Mais de plus en plus je me dirige vers des livres pas trop longs. C'est liĂ© aussi Ă  mon temps d'attention. Quand je lis un livre trop long, j'en achète dix entre temps que j'ai envie de lire. Du coup je lâche beaucoup de bouquins en cours. Grand lecteur, mais aussi un peu inconstant, je ne me sens pas l'obligation de finir.

Cela fait partie des droits du lecteur disait Pennac. Que fais-tu des livres pas finis ? Vont-ils dans la bibliothèque ?

Non, il y en a qui attendent ou qui sont donnés. La plupart sont mis de côté, parce que je ne les ai pas finis par impatience. Par ailleurs, on m'en envoie beaucoup. Je m’efforce de lire ce qu'on me donne. C'est ainsi que j'ai découvert des auteurs, et même lié amitié avec certains.

Tu as apporté des livres.

Comme tu me l'as demandĂ©. Mais lesquels prendre ? Il y en a un qui est une sorte de livre de chevet : Gioconda, du grec Nikos KokĂ ntzis ; il y a Cette vie, de Karel Schoeman,  chez PhĂ©bus. C'est un romancier afrikaner auquel je tiens. Cette auteure chinoise, Wang Anyi, dont le titre est une poĂ©sie : Le chant des regrets Ă©ternels.

Et ce livre que j'aime beaucoup de François Vergne, un auteur dont on n'entend plus trop parler, Vie nouvelle. C'est vers ce en quoi je tends en tant qu'auteur, une Ă©criture  blanche, tout est en filigrane, sous-jacent. Il y a lĂ  une façon de teinter un texte d'irrĂ©alitĂ©. J'aime beaucoup ça. Mais je peux aussi aimer des choses plus baroques, le lyrisme de Mathias Énard par exemple. Cette profusion d'images m'Ă©pate, mĂŞme si c'est loin de moi. Vie nouvelle, c'est un absolu, il y a ce lyrisme et cette extrĂŞme tenue. On y sent vraiment affleurer la vĂ©ritĂ© des ĂŞtres, au dĂ©tour d'une phrase, on touche Ă  quelque chose d’indicible. C'est très juste, très vibrant. Je ressens souvent cela avec ce qui a trait Ă  l'absence, Ă  ce qui n'est plus.

Tu as des projets de livres ?

J'aimerais bien. Ce matin j'ai écrit la première ligne d'un livre à venir (rires).

Alain Girard-Daudon et Dominique A