C'est dans sa librairie que je retrouve Andreas Lemaire. Il a ouvert Myriagone en 2016, à deux pas du centre-ville d'Angers. Un lieu accueillant et beau, conçu et pensé avec minutie par son jeune fondateur.
Myragone est une librairie qui se démarque et qu'Andreas définit lui-même comme indépendante, atypique et hybride. Indépendante comme l'est l'esprit d'Andreas, atypique par ses contenus et ses choix, hybride car c'est aussi une galerie d'art et un salon de thé.
Côté librairie, le fonds de 2 200 livres (littérature, essais, beaux-arts, bandes dessinées et jeunesse), on le comprend très vite, constitue la bibliothèque idéale de ce lecteur curieux de tout.
Andreas éclaire son parcours de lecteur et sa formation, détour indispensable pour expliquer ses choix de libraire.
Un parcours de lecteur caractérisé par une propension à la curiosité
Plus littéraire que scientifique, son entourage lui inculque très jeune la curiosité et le goût de la recherche, puis le dépassement de ses limites, de ses propres blocages. Il découvre assez tôt qu'il ne faut pas s'attacher au genre mais au contenu, une découverte pivot dans son cheminement.
Ses parents favorisent la lecture, son frère architecte va le guider, lui donner des premiers repères.
À 8 ans le déclic se fait avec un livre sur Van Gogh. C'est par l'art qu'il vient à la lecture.
À 12 ans, quand ses camarades lisent des livres de la collection Chair de poule, il lit H. G. Wells.
À 14, il découvre Orwell qui lui permet de faire le lien avec l'Histoire.
La lecture est une clé pour comprendre le monde
La SF et les romans d'anticipation répondent et nourrissent son appétence pour les questions de société. Abreuvé de musique et de littérature par ses frères, il apprend aussi à fouiner, à faire des ramifications et quelle que soit la discipline, à se poser des questions sur ce qu'il écoute, lit ou voit. Il cherche de plus en plus à travers les textes une expression artistique qui s'interroge sur elle-même. Un questionnement pas toujours formulé mais toujours présent.
La transdisciplinarité, une notion importante dans son parcours et dans sa formation
Étudiant en histoire de l'art à Nantes, il lit beaucoup d'essais. Ses lectures de jeunesse vont alors s'ancrer dans une vraie conscience et dans une pensée historique.
Son passage au Life et au Grand café, deux lieux de Saint-Nazaire dédiés à l'art contemporain où il travaille comme médiateur culturel, renforce son intérêt pour des formes artistiques qui s'affranchissent des barrières et des frontières, Il découvre que « la richesse se trouve dans ce qui est difficile à classer, à circonscrire, naît d'une capacité à s'interroger sur ce qu'on fait, à aller au bord, aller taper dans les cadres ».
C'est dans ce parcours et dans ces choix de jeune lecteur que vont prendre naissance les convictions et choix du libraire.
Toutes mes lectures sont utiles !
Pas de place chez Myriagone pour les livres qui se vendent tout seuls, les best sellers ou les sélections des prix littéraires. En revanche chaque livre est choisi avec exigence et attention par Andreas, des livres qu'il a forcément lus et aimés. Toutes ses lectures sont utiles et le libraire lit avec le même appétit insatiable que le jeune lecteur. Sa méthode : « ne jamais lire vite et faire des choix drastiques ».
Parmi les 2 200 livres de la librairie, il y a donc d'abord les références fondamentales, celles dont il ne conçoit pas de se séparer, les Calvino, Duras, Pérec, Fanck Herbert, auteurs essentiels, les jalons importants de son parcours.
Il y a aussi les auteurs auxquels il est attaché même s'ils ne se vendent pas tels Nicolas Presl (BD), Adelheid Duvanel (littérature) ou Batia Suter (Beaux-Arts).
Il met aussi en avant certains éditeurs peu présents en général en librairie et qui lui ont fait découvrir de grands auteurs : le Tripode, Héros limite, CentPages, Cambourakis, Monsieur Toussaint Louverture, Inculte, ou encore Zones sensibles et Vies parallèles (deux éditeurs bruxellois).
Il aime aussi aller vers des auteurs qu'il ne connaît pas mais chez qui il est sûr de trouver quelque chose soit parce qu'il fait confiance à l'éditeur, soit parce qu'il en a entendu parler à l'instar de la romancière italienne Dolorès Prato, dont le premier récit, Bas la place y'a personne qui vient d'être traduit en Français et publié chez Verdier, a déjà rejoint son panthéon.
Un classement par capillarité, subjectif et assumé !
Selon Andreas, « on ne découvre jamais mieux que quand on perd nos repères, quand on sort de nos automatismes. » De même qu'il prône le décloisonnement intellectuel, il favorise la capillarité entre les genres. Il ne conçoit pas de dissocier poésie et essais par exemple. il aime faire dialoguer les secteurs, les genres et les auteurs, les époques et les territoires géographiques.
De ramification en ramification le fonds s'est organisé : autour d'auteurs essentiels, de maisons d'éditions qu'il souhaite mettre en avant, ou d'auteurs inclassables comme David Antin par exemple.
Une organisation finalement pas très pratique pour le lecteur concède-t-il « mais qui oblige à se poser des questions sur ce qu'on lit. »
« Le but est de ré-invoquer la notion de déambulation et de curiosité dans l'espace de la librairie », dit Andreas. Une notion essentielle pour ce lecteur curieux, un luxe aussi - reconnaît-il - et qu'il peut se permettre parce qu'il travaille seul et qu'il a une bonne mémoire !
On l'aura compris, on ne vient pas dans cette librairie pour chercher quelque chose de précis, on vient pour découvrir. Et Andreas Lemaire est là pour apporter des réponses à chacune des demandes et attentes de ceux qui entrent dans ce lieu d'échanges et de dialogues, où le temps et l'amour sont les valeurs premières.
« Lire pour lire est inutile, on lit pour continuer d'exercer et d'aiguiser le regard porté sur le monde, pour avoir des outils de pensée, et si c'est pour tourner en rond cela ne sert à rien, autant faire une bonne balade en forêt, c'est beaucoup plus nourrissant. »