SCOP L'Atalante, une pratique de l'utopie ?

Publié le 13/10/2022 par Timothée Demeillers
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En retrait de la place Royale, Ă  deux pas de la librairie du mĂŞme nom, se situent les bureaux de L’Atalante, maison d’édition phare des littĂ©ratures SF et fantasy. C’est aussi une structure qui, très tĂ´t, s’est posĂ©e la question d’une gestion et organisation salariale plus vertueuse, notamment Ă  travers le statut de Scop. Rencontre avec Mireille Rivalland, co-gĂ©rante de l’Atalante et co-fondatrice de sa première collection.  



Qui ĂŞtes-vous et qu’est L’Atalante ? 

Je suis Ă©ditrice et co-gĂ©rante de L’Atalante, et j’y travaille depuis 33 ans. L’Atalante, c’est Ă  l’origine une librairie ouverte en 1978 par Pierre Michaut, un passionnĂ© de cinĂ©ma et de littĂ©ratures de genre, qui s’est vite aperçu au grĂ© de quelques livres sur le cinĂ©ma fort rĂ©ussis qu’il avait le goĂ»t de la fabrication. Je suis arrivĂ©e Ă  cette Ă©poque et j’ai accompagnĂ© la crĂ©ation de la première collection – La Bibliothèque de l’évasion. Il s’agissait de rassembler tous les genres de littĂ©rature populaire, Ă  savoir le polar, la SF, la fantasy, l’aventure, etc., mĂŞme si très rapidement c’est la SF qui va devenir le cĹ“ur de notre activitĂ©. J’entends par « populaire » une littĂ©rature de divertissement exigeante, qui s’adresse au plus grand nombre ; nous avons fait le choix de donner de beaux textes et de beaux livres aux lecteurs et ses lettres de noblesse Ă  l’édition populaire qui a Ă©tĂ© trop longtemps minorĂ©e par l’institution. Une littĂ©rature qui a Ă©tĂ© « choisie » par le lecteur et non imposĂ©e.  Lorsque je vois un jeune de quinze ans qui lit Pierre Bordage dans le bus, je sais que c’est lui qui a Ă©tĂ© chercher ce texte et pas l’école qui l’a obligĂ©. 



Vous ĂŞtes une des rares maisons d’édition organisĂ©e en Scop, comment en ĂŞtes-vous arrivĂ© lĂ  ? 

Dès 1991, l’activitĂ© Ă©ditoriale tourne suffisamment pour devenir une SARL, alors que nous n’étions jusque-lĂ  qu’une activitĂ© annexe de la librairie. Ă€ l’époque nous sommes trois : deux Ă  l’édition et un en librairie. Mais au cours des annĂ©es 2000, les problèmes se dĂ©doublent puisque nous devenons Ă  la fois Ă©diteurs et entrepreneurs – nous avons Ă©tĂ© au maximum 10 salariĂ©s –, et nous passons donc une partie de notre temps de plus en plus importante Ă  « gĂ©rer une sociĂ©tĂ© », ce qui peut nous faire risquer de dĂ©laisser notre mĂ©tier d’éditeur.  Concomitamment se pose la question de l’avenir de la boĂ®te et de sa transmission. Dans une SARL, les parts se transmettent par acquisition ou par hĂ©ritage. Pierre Michaut Ă©tant Ă  l’époque gĂ©rant majoritaire et sa retraite approchant, on a commencĂ© Ă  se poser plusieurs questions : que se passerait-t-il après son dĂ©part ? Ses hĂ©ritiers voudraient-ils reprendre la sociĂ©tĂ© ? Quelqu’un dans la maison, aurait-t-il les moyens de racheter ses parts – qui avaient pris de la valeur Ă  la suite de nos premiers succès Ă©ditoriaux ? N’y avait-t-il pas un important risque d’être rachetĂ© au plus offrant par un groupe, ce que nous ne souhaitions en aucun cas ? Cela est devenu une prĂ©occupation majeure pour l’équipe : rĂ©flĂ©chir Ă  une forme de gestion plus vertueuse, rester indĂ©pendants, de ne pas grossir trop vite et trouver un mode de transmission qui laisse la boĂ®te Ă  ceux qui la font. Alors peu Ă  peu la Scop s’est imposĂ©e Ă  nous… 



Pouvez-vous nous expliquer brièvement ce qu’est une Scop ? 

Le mot Scop signifie sociĂ©tĂ© coopĂ©rative de production ou – historiquement – sociĂ©tĂ© coopĂ©rative ouvrière de production. C’est une forme de sociĂ©tĂ© oĂą le capital n’est pas financiarisĂ©, oĂą la somme que vous placez dans l’entreprise, – quelle qu’elle soit –, ne se modifie pas. Vous rĂ©cupĂ©rez ce que vous injectez. C’est donc non-spĂ©culatif. Le capital appartient aux sociĂ©taires (salariĂ©s pour 51% a minima et extĂ©rieurs) qui ont chacun une voix, qu’on ait mis 2 % ou 20 % du capital. Les dĂ©cisions majeures d’orientation de la sociĂ©tĂ©, en assemblĂ©e gĂ©nĂ©rale, sont donc prises collectivement, contrairement Ă  la SARL oĂą le gĂ©rant majoritaire a tout le temps raison, mĂŞme quand il a tort ! D’ailleurs dans une Scop, le gĂ©rant, lui aussi salariĂ©, est Ă©lu pour un mandat de 4 ans et rend des comptes Ă  l’assemblĂ©e gĂ©nĂ©rale annuellement ; il peut ĂŞtre rĂ©voquĂ©. Enfin, le statut de Scop est assez encadrĂ© (tant pour la mise en rĂ©serve des bĂ©nĂ©fices et leur redistribution aux salariĂ©s, que fiscalement), et pour ce faire, nous sommes accompagnĂ©s par un rĂ©fĂ©rent de l’Union rĂ©gionale des Scop. Mais attention, ce n’est pas parce que c’est coopĂ©ratif que c’est un statut naĂŻf. Notre ambition est toujours de faire des livres qui se vendent et d’avoir des salaires adaptĂ©s Ă  nos besoins ! La rĂ©gion compte d’ailleurs de nombreuses autres Scop importantes comme Moulin Roty, les Ouvriers du Jardin ou encore l’entreprise de transport Titi Floris. 



Comment s’est dĂ©roulĂ©e la transition ? 

Notre SARL avait dĂ©jĂ  un goĂ»t de Scop, vu que tous les salariĂ©s de l’époque Ă©taient associĂ©s, mais malgrĂ© cela les problèmes liĂ©s Ă  la gĂ©rance majoritaire subsistaient : Pierre Michaut avait en thĂ©orie tous les pouvoirs et sa succession n’était pas assurĂ©e. C’est un expert-comptable, AndrĂ© Bernard, spĂ©cialisĂ© dans l’économie sociale et solidaire, rencontrĂ© aux Utopiales en 2001 qui va nous accompagner vers cette transition. La dĂ©cision a Ă©tĂ© très discutĂ©e au sein de l’équipe, car nous souhaitions qu’y souscrivent les anciens associĂ©s, et finalement, lorsque la transition est intervenue en 2012, tout le monde a jouĂ© le jeu. Les parts de la SARL ont Ă©tĂ© remboursĂ©es et rĂ©injectĂ©es dans la nouvelle structure – la rĂ©gion nous a considĂ©rablement aidĂ©e Ă  l’époque, selon un dispositif d’encouragement aux transmissions d’entreprises sous forme de Scop. D’ailleurs aujourd’hui, sur les huit salariĂ©s, sept sont sociĂ©taires, et nous sommes toujours en compagnie de trois sociĂ©taires « extĂ©rieurs », dĂ©jĂ  associĂ©s de la SARL – un traducteur, un lecteur et un auteur. 



Quelles ont Ă©tĂ© les consĂ©quences sur la gestion de la sociĂ©tĂ© ? 

Cela n’a pas changĂ© grand-chose au quotidien dans les tâches des unes et des autres.  D’autant plus que la chaĂ®ne du livre n’est pas un vain mot et par essence collaborative. Travailler dans l’édition c’est faire le lien constamment entre un auteur, un Ă©diteur, un correcteur, un distributeur, un libraire, etc. Mais le statut de Scop a tout de mĂŞme poussĂ© Ă  un fonctionnement plus collaboratif au sein de l’équipe. Les dĂ©cisions sont davantage discutĂ©es et prises collectivement, puisque nous sommes plus conscients de l’impact de celles-ci sur l’équipe et l’entreprise. La Scop implique Ă©galement de la transparence, notamment sur les chiffres, auxquels les salariĂ©s ont rĂ©gulièrement accès – puisqu’ils sont sociĂ©taires –, contrairement aux SARL, oĂą le gĂ©rant annonce ses chiffres une fois par an… 

Cela a aussi amenĂ© Ă  nous des personnes pour qui la Scop reprĂ©sentait un intĂ©rĂŞt, comme le libraire actuel, Mathieu, qui a rĂ©pondu Ă  notre offre d’emploi en partie pour notre statut de sociĂ©tĂ© coopĂ©rative. Cela donne un sens au travail puisque tout le monde a une responsabilitĂ© dans la viabilitĂ© de l’entreprise. Ce n’est pas forcĂ©ment une vie plus facile, mais c’est une vie meilleure. 



Votre exemple a-t-il inspiré d’autres acteur du monde du livre ?

Les Ă©ditions Argyll Ă  Rennes, la librairie l’Embarcadère Ă  Saint-Nazaire, les Volcans Ă  Clermont-Ferrand, les Mots Ă  la Bouche ou la Musardine Ă  Paris. Tous sont en Scop. 

C’est dur de dire si c’est notre exemple qui les a inspirés. Disons que je peux affirmer avoir encouragé la maison d’édition La Musardine et la librairie Les Mots à la bouche à choisir ce mode de transmission lors du passage à la retraite des fondateurs de ces entreprises. D’ailleurs, je réfléchis à la réunion de toutes ses structures au sein d’une sorte de collectif national. Mais pour l’instant, j’en parle et n’agis guère…



Quel est le sens pour vous d’être en Scop et comment voyez-vous l’avenir ?  

ĂŠtre en Scop, c’est se positionner politiquement. C’est refuser d’être dans l’enrichissement Ă  tout prix. Et comme pour la SF, c’est une pratique de l’utopie – lisez cette merveilleuse Ă©crivaine amĂ©ricaine, Becky Chambers, pour vous en convaincre. Or l’utopie n’est pas un rĂŞve, bien au contraire, c’est un endroit oĂą il se passe plein de choses, c’est une rĂ©alitĂ© dynamique ! 

Quant à l’avenir, je prépare ma transmission d’éditrice et de cogérante, puisque je prendrai a priori ma retraite au printemps 2025 ; alors on y pense de plus en plus. On fait évoluer les fiches de poste des unes et des autres en fonction, et je forme qui de droit aux tâches sur lesquelles je suis en première ligne. C’est tout à fait passionnant.