Face à une culture conventionnelle souvent uni-formaliste, des éditeurs, diffuseurs, libraires s'inscrivent dans un mouvement de résistance, en défendant « leurs » auteurs, illustrateurs, graphistes, plasticiens... À travers leurs choix, ces acteurs de la culture indépendante deviennent des explorateurs, des défricheurs. Ils utilisent des méthodes qui leur sont propres. Ils sont porteurs de convictions fortes, comme en agriculture bio.
En germe, le militantisme
Dès que l'on parle de culture indépendante, même si ce terme fourre-tout est parfois à nuancer, ses acteurs ne tardent pas à se retrouver sur le thème du militantisme et du circuit alternatif. Car il s'agit bien d'une lutte pour s'imposer, imposer ses choix culturels, ses choix de production, bref pour affirmer son indépendance. Une lutte avec son lot d'avancées et de défaites.
Si certains libraires sont prêts à laisser rentrer chez eux des auteurs grand public (Musso, Lévy pour les nommer), d'autres les refusent : « Cela saborderait ma sélection », pas de vers dans le fruit pour Andreas Lemaire, gérant de la toute nouvelle librairie angevine Myriagone. Si ailleurs cette ouverture au tout venant culturel est acceptée, elle ne doit pas masquer une farouche volonté de mettre en avant des éditeurs et des auteurs qui ne sont pas dans les grandes enseignes. Eloïse Boutin, de la librairie L'Embellie à la Bernerie-en-Retz, note que dans le top de ses meilleures ventes, 30% sont ses coups de cœur. Conseil et accompagnement constituent le fer de lance du métier.
Les deux librairies L'Embellie et Myriagone ouvrent leurs murs à un espace galerie. Le livre échange avec les arts visuels. La librairie est aussi salon de thé où il fait bon participer aux animations, discussions littéraires et artistiques. Cette interdisciplinarité ne peut qu'enrichir le lieu. Une forme de permaculture ?
Résister, pour produire mieux
Dynamiser le circuit économique local est une revendication affichée, doublée d'une sensibilisation à l'environnement. Travailler en circuit court. Quitte à payer l'impression d'un ouvrage plus cher. La valeur ajoutée est aussi une valeur environnementale, avec la recherche d'un coût carbone moindre. Comme un certain nombre d’éditeurs ligériens, L'œil ébloui et Irreverent font imprimer dans le Grand Ouest. L'imprimeur se trouve près de Rennes pour le premier ou la Rochelle pour le second, et non dans les pays de l'Est ou en Espagne. Pour Denis Esnault, fondateur de Irreverent, revue multiculturelle et annuelle, le devoir de qualité est incontournable. Impensable pour lui de ne pas assister au bon à rouler chez l'imprimeur, de veiller à la qualité du produit, au respect de la chromie. D'ailleurs, le magazine a changé de format sur un coup de cœur. Format où la rentabilité à la feuille est la plus économique possible (pas de déchet), une fabrication plus écologique avec un papier moins blanc mais plus naturel. Optimiser, produire mieux. Chez L'œil ébloui, l'éditeur nantais Thierry Bodin-Hulin se bat aussi, réalisant un travail très méticuleux, de la maquette au rendu papier, en passant par les soins d'un photograveur si besoin.
Denis Esnault : « L'objet devient levier de résistance » face à une culture conventionnelle, pas une résistance revendicative, poing levé, mais une résistance par l'objet produit. « Ce qui est « Irreverent » dans ce projet, c'est de le faire ».
En vivre ?
L'objet réalisé, tel Irreverent, est un produit artistique, la question de la rentabilité ne se pose pas, comme chez nombre d'éditeurs consacrés à la poésie par exemple. La production éditoriale tend vers le manifeste culturel. Le but est de pouvoir continuer à éditer ses auteurs. Thierry Bodin-Hulin consent, dans un premier temps, à ne pas faire d'argent avec L'œil ébloui. « Avant de penser développement, l'objectif est l'équilibre budgétaire ». Il lui faut en moyenne gagner 2 000 euros pour ré-investir dans un nouvel ouvrage.
La force d'Amalia diffusion repose sur la création d'un modèle économique et éthique, ce qui n'est pas forcément incompatible : ce diffuseur réunit ses éditeurs dans une perpétuelle discussion autour des valeurs de la micro-édition. Chez Amalia diffusion, Mathilde Roux, une des deux salariées de l'association, perçoit un salaire inférieur à 1 000 euros. Ce revenu minimum est en adéquation avec un choix de vie où la croissance à tout prix n'a pas sa place. Faire du circuit court, dynamiser l'économie régionale est un crédo défendu par Amalia qui espère voir ses efforts soutenus par les institutions. Son idéal ? Se développer sans se faire racheter, rester indépendante !
À L'Embellie, ils sont désormais deux à travailler et à dégager un revenu qui, au mieux, prend l'allure d'un Smic pour chacun.
L'objectif premier revendiqué par les acteurs de la culture indépendante est de proposer un produit, un service de haute qualité, si possible environnementale. Les valeurs du bio d'aujourd'hui sont sans cesse menacées, son éthique est mise à mal. Le label s'assouplit au bon gré des institutions européennes. Les producteurs doivent rester sur la défensive. Lutter, garder un esprit indépendant, défendre ses valeurs... un signal d'alarme pour la culture ?
Le panier culture
Fondée sur le principe d'une Amap (association pour le maintien d'une agriculture paysanne), l'association nantaise Le panier culture propose trois livraisons à l'année. Dans chaque panier, trois biens culturels surprises. Les types de biens que l'on peut y trouver : un bien matériel (BD, livre, CD), un spectacle vivant (concert, théâtre, lecture musicale), et parfois aussi un atelier créatif pour faire découvrir une pratique artistique, comme par exemple le vitrail.
La distribution des paniers s'effectue dans des lieux insolites ou méconnus de la métropole. L'objectif : accompagner les artistes émergents du territoire, faire découvrir la culture d'une autre manière, en comprendre les mécanismes. Le panier culture compte 35 adhérents. Coût de l'engagement à l'année (3 paniers de 3 biens) : 135 euros + 7 euros d'adhésion (10 pour un couple). Les billets des spectacles et créations partagées sont valable pour deux. Plus d'infos sur : www.panierculture-nantes.fr
Citoyens vos citations !
« Le profit outrancier n'est pas notre but, eux (les producteurs bio) comme nous existons tant bien que mal et souhaitons simplement vivre de notre travail. Nous faisons du beau, ils font du bon. Ensemble nous voulons être utiles à vivre bien, mieux. »
Arthur R. David, Artisans-Voyageurs éditeurs
« Il y a un paradoxe entre la recherche d'une autre façon de faire (hors circuits commerciaux classiques, sans diffusion, etc.) et l'exigence de rentabilité (…) Je me rends compte que certains compromis sont nécessaires pour pérenniser mon activité. »
Anaïs Goldemberg, Le Lumigon
« Nous imprimons localement sur papier recyclé. (…) Nous aimons la diversité chez les auteurs et les illustrateurs que nous éditons (pas de mono-culture). Nous avons à cœur de rencontrer nos lecteurs et de créer du lien. Nous diversifions nos modes de commercialisation (direct, circuit court et traditionnel). »
Albert de Pétigny, éditions Pourpenser
« Notre maison d’édition tente d’être la plus locale et écologique possible. Les créations, mises en page, impressions sont toutes réalisées à moins de 5 km de Nantes. Les livres sont fabriqués à partir d’encres végétales sur du papier issu de forêts gérées durablement. Nous “compensons” nos déplacements. Ainsi, en achetant l’un de nos ouvrages, vous contribuez à la reforestation de la région d’Alto Huayabamba. »
La Mer salée éditions.
(Se) cultiver
De nombreuses métaphores expriment les liens entre nature et livre. Le patrimoine comme environnement racinaire pour la…
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