Frédérique Germanaud lit le nouveau recueil de Sylvie Dubin, qui se penche sur la Première Guerre mondiale. Elle met en scène des êtres sans particularité, sans courage ni lâcheté remarquables — et leur humanité est la nôtre.
Sylvie Dubin nous propose, dans son troisième livre, un éclairage original sur la Première Guerre mondiale. Aux grandes batailles, aux hautes considérations sur la guerre et les hommes, l’auteure angevine préfère l’individu et les faits. Elle met en scène des êtres sans particularité, sans courage ni lâcheté remarquables. Souvent de condition modeste, ils sont plus ou moins proches du conflit, permissionnaire, infirmière, tirailleur sénégalais, aérostier, médecin, journaliste, artiste peintre, couturière, mourant sans gloire ou survivant au désastre. Leurs destins sans relief se mêlent aux grandes catastrophes : déception d’une marraine de guerre à la réception de la photographie de son filleul ; peintre raté qui profite d’un accident ferroviaire pour voler les œuvres d’un artiste. Ce ne sont pas des héros, les portraits sont parcellaires et, en cela, nous nous approchons de ces hommes et femmes des temps de guerre. Leur humanité est la nôtre. C’est ainsi que le livre trouve sa vérité, plus que sur le terrain historique – irréprochable néanmoins.
Les personnages se croisent, les histoires entremêlées s’éclairent l’une l’autre, dans une construction habile qui finit par former une modeste épopée, dont le point central serait géographique : la ville de Merlet-Font, en Normandie, dont l’un des protagonistes, Paulin, partira pour le front et qui, à la fin du livre, sera le cadre d’une rocambolesque histoire de monument aux morts.
Malgré son thème, il ne s’agit pas d’un livre sombre. On y trouve nombre d’anecdotes et épisodes cocasses, de dérisoires préoccupations : “il quitte le doux salon maternel, se sauve dans l’escalier : "prends ton parapluie mon chéri", lui crie-t-on alors. Et lui qui supporte depuis des mois des pluies d’obus, de boue et d’infortunes, il saisit son parapluie au pommeau de corne et se prépare à affronter Paris. Avec, au cœur, une injuste prévention”. L’humour naît souvent du décalage entre le grave et le futile. Il peut être aussi très noir : “ce qu’ils veulent, c’est sourire quand même, avec ou sans bouche pour retenir la salive”, dit Elise Simon, assistante au Studio for Portait Masks qui confectionne des masques pour ceux dont les visages ont été détruits. La détresse se cache sous les fanfaronnades, la gouaille ou l’autodérision. La même Elise résume le propos de ce livre : “Ecrivez une histoire sur nos sans visages, inventez, brodez, grimez ! Vous pourrez obtenir ce que nous obtenons avec nos masques : donner à voir ce qui n’est pas regardable”.
Outre le talent d’avoir su établir une complicité entre le lecteur et les protagonistes de ces histoires, la langue est généreuse et savoureuse, une grande force de vie s’en dégage. Les dialogues sont écrits avec gourmandise et rarement on trouve une telle palette de vocabulaire dans un même livre. Argot, langue populaire, termes administratifs (les “faciaux” pour désigner les gueules cassées), techniques ont une belle place dans ce Vent de boulet et contribuent largement à notre plaisir de lecture.
Vent de boulet, par Sylvie Dubin, Éditions Paul et Mike, 256 pp., 15€, ISBN : 9782366510799