Vent de boulet, de Sylvie Dubin

Publié le 14/04/2016 par Frédérique Germanaud
Frédérique Germanaud
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Frédérique Germanaud lit le nouveau recueil de Sylvie Dubin, qui se penche sur la Première Guerre mondiale. Elle met en scène des êtres sans particularité, sans courage ni lâcheté remarquables — et leur humanité est la nôtre.

Sylvie Dubin nous propose, dans son troisième livre, un Ă©clairage original sur la Première Guerre mondiale. Aux grandes batailles, aux hautes considĂ©rations sur la guerre et les hommes, l’auteure angevine prĂ©fère l’individu et les faits. Elle met en scène des ĂŞtres sans particularitĂ©, sans courage ni lâchetĂ© remarquables. Souvent de condition modeste, ils sont plus ou moins proches du conflit, permissionnaire, infirmière, tirailleur sĂ©nĂ©galais, aĂ©rostier, mĂ©decin, journaliste, artiste peintre, couturière, mourant sans gloire ou survivant au dĂ©sastre. Leurs destins sans relief se mĂŞlent aux grandes catastrophes  : dĂ©ception d’une marraine de guerre Ă  la rĂ©ception de la photographie de son filleul  ; peintre ratĂ© qui profite d’un accident ferroviaire pour voler les Ĺ“uvres d’un artiste. Ce ne sont pas des hĂ©ros, les portraits sont parcellaires et, en cela, nous nous approchons de ces hommes et femmes des temps de guerre.  Leur humanitĂ© est la nĂ´tre. C’est ainsi que le livre trouve sa vĂ©ritĂ©, plus que sur le terrain historique – irrĂ©prochable nĂ©anmoins.  

Les personnages se croisent, les histoires entremêlées s’éclairent l’une l’autre, dans une construction habile qui finit par former une modeste épopée, dont le point central serait géographique : la ville de Merlet-Font, en Normandie, dont l’un des protagonistes, Paulin, partira pour le front et qui, à la fin du livre, sera le cadre d’une rocambolesque histoire de monument aux morts.

MalgrĂ© son thème, il ne s’agit pas d’un livre sombre. On y trouve nombre d’anecdotes et Ă©pisodes cocasses, de dĂ©risoires prĂ©occupations  : “il quitte le doux salon maternel, se sauve dans l’escalier  : "prends ton parapluie mon chĂ©ri", lui crie-t-on alors. Et lui qui supporte depuis des mois des pluies d’obus, de boue et d’infortunes, il saisit son parapluie au pommeau de corne et se prĂ©pare Ă  affronter Paris. Avec, au cĹ“ur, une injuste prĂ©vention”. L’humour naĂ®t souvent du dĂ©calage entre le grave et le futile. Il peut ĂŞtre aussi très noir  : “ce qu’ils veulent, c’est sourire quand mĂŞme, avec ou sans bouche pour retenir la salive”, dit Elise Simon, assistante au Studio for Portait Masks qui confectionne des masques pour ceux dont les visages ont Ă©tĂ© dĂ©truits. La dĂ©tresse se cache sous les fanfaronnades, la gouaille ou l’autodĂ©rision. La mĂŞme Elise rĂ©sume le propos de ce livre  : “Ecrivez une histoire sur nos sans visages, inventez, brodez, grimez  ! Vous pourrez obtenir ce que nous obtenons avec nos masques  : donner Ă  voir ce qui n’est pas regardable”.

Outre le talent d’avoir su établir une complicité entre le lecteur et les protagonistes de ces histoires, la langue est généreuse et savoureuse, une grande force de vie s’en dégage. Les dialogues sont écrits avec gourmandise et rarement on trouve une telle palette de vocabulaire dans un même livre. Argot, langue populaire, termes administratifs (les “faciaux” pour désigner les gueules cassées), techniques ont une belle place dans ce Vent de boulet et contribuent largement à notre plaisir de lecture.

Vent de boulet, par Sylvie Dubin, Éditions Paul et Mike, 256 pp., 15€, ISBN : 9782366510799