Ce livre a reçu le prix Grain de sel 2015, décerné par l'association Le sel des mots, au Pouliguen.
Lire Le Syndrome Shéhérazade c’est se tenir sur une longue plage déserte balayée par le vent, habitée du son de la mer qui ne cesse d’arriver dans le chuintement de son écume, pour se finir, murmurante ou fracassante, sur le sable. Mille et un fragments pour repousser la mort comme le fit Shéhérazade, nuit après nuit. L’éditeur a joliment joué du conte via les étoiles qui ponctuent le blanc des pages et le noir des dernières feuilles du livre.
Les voix arrivent par vagues successives, se poursuivant, se chassant ou se mêlant, tirant leur force de la brièveté de leur surgissement. On en sort trempé, heureux, un peu groggy, accompagné du murmure et des cris, des chuchotements et des confidences, des exclamations de rage ou de détresse, des obsessions cachées ou brandies, de ces bribes d’histoires humaines, trop humaines toutes marquées par la folie. Car c’est bien d’elle dont il s’agit au travers d’incarnations multiples, s’invitant dès la première page et nous saluant dans le dernier fragment.
Des vies s’esquissent en pointillé sur quelques pages, puis disparaissent pour laisser place à d’autres présences, ressurgissant parfois bien plus loin dans le livre. L’acuité et la justesse de leurs paroles les dotant d’une chair, certes trouées, mais infiniment vivante. Il y a cet enfant à qui son zizi pose bien des problèmes, cet homme qui ne peut que marcher, cette femme maniaque à l’extrême, celui qui a été trompé et rejeté, cette grand-mère acariâtre, ce père si agacé, celui qui se réveille face à un mur incompréhensible, celle qui cherche sans cesse l’amour. Et tant d’autres. Car, note l’auteur :
“Ils sont l’ombre, c’est à dire la fiction ; toutes les histoires possibles naissent de leurs tensions et de leurs rires. Ils sont le présent qui - jamais – ne se défait du passé.”
Les familiers de l’œuvre d’Éric Pessan reconnaîtront, ici et là, des personnages ou des situations issus de ses livres précédents. Au-delà du clin d’œil, leur présence entrouvre la porte de son atelier de création. Pas seulement par les figures d’écrivains ou de créateurs qu’il y convoque parfois, pas seulement par son acuité d’observation pour ses semblables mais surtout en ce qu’il y met en scène cette folie inlassable qu’est l’écriture même.
Éric Pessan, Le Syndrome Shéhérazade, Éditions de L’Attente, 244 pp., 19 €, ISBN : 978-236242-046-7