Dans Kitesurf, le poète Michel Le Brigand et le photographe Modeste Nago observent de drôles d’oiseaux de mer.
Ce petit opuscule est un beau livre issu de la rencontre d'un poète, Michel Le Brigand, et d'un photographe, Modeste Nago. L'un est marin, l'autre terrien. Tous deux réceptifs aux ambiances de mer par temps extraordinaire. Deux regards imbriqués d'où émerge un discours fin, sensible et non dénué d’humour sur ce qu'ils observent d'un monde singulier, celui des kitesurfeurs.
Point de juxtaposition des formes, mais une belle articulation des sources entre textes et photos qui nous enjoint de pénétrer ce ballet moderne situé entre ciel et mer. Le récit est mouvement et nous parle d’ailes, de risées, d'écume, de vent, d’aspiration, de vitesse et de glisse. L’image est suspension et nous conduit de l’ombre à la lumière au scintillement et à l’éclat d’une aspiration zénithale toujours plus obsédante jusqu’à l’extase ascensionnelle.
Les deux auteurs nous font ainsi entrevoir par leur regard croisé cet entre-deux toujours difficile à représenter: la tension entre le désir originel d'une quête de toute puissance (“les maîtres des cieux”) et de jouissance (“il passe la ligne invisible, pulvérise les marges, s’émerveille”) et enfin le plaisir existentiel du dépassement de soi (“réussir le virement qui donnent des ailes”).
Le récit nous propulse au cœur même du passage à l'acte dans ce désir d’élévation qui met trivialement en jeu cette triangulation intime entre l'homme, sa machine et son environnement.
Ainsi, au travers de l’attente (“Libérer son aile ou perdre la tête”), du rituel extrêmement précis de la préparation (“Porter attention au matériel dans une distribution des gestes, soft and safe”), puis de la mise à feu des chevaliers du vent (“les soldats courent subitement, décollent du sol, dans la ferveur, précipitent leur élan to move and slide on the sea side”), les deux auteurs nous font partager la réalité de ce bras de fer ininterrompu entre maîtrise et domination (“gare à ne pas être unlucky – satellisé, en chute libre”), dans le chaos d'un ciel en révolution permanente et d'une mer non moins périlleuse (“après la mise en lisse, au délisse de la glisse sur piste lisse, répond la béance de la danse, la transe mordante jusqu’au déni des profondeurs”) que la versatilité du temps peut rapidement mettre en question.
Alors “le vent vous tombe des mains” et vous met en alarme d’un risque éventuel de perdition (“revenir au bord, faire la méduse sur le sable plutôt que le caillou sous l’eau”). Dans les yeux du spectateur, c’est le regard de l’enfance qui prédomine à la fois émerveillé et effrayé de ce qu’il aperçoit (“De loin, c’est très joli, de près, c’est menaçant”).
Un livre qui nous fait entrevoir avec jubilation l'histoire d'une passion, celle de “vivre le vent et travailler les jours sans”.
Kitesurf par Michel Le Brigand, photographies par Modeste Nago, Éditions Soc & Foc 2015, 46 pp., 12 €, ISBN : 979-10-95089-02-5.