Deux nouveaux livres publiés simultanément à La Clé à Molette, qui inaugurent le catalogue de cette maison d'édition.
Dans La Chambre d'écho, paru aux éditions de l'Escampette en 2012, l'auteure angevine Frédérique Germanaud proposait cinq nouvelles doublées de cinq "commentaires" en écho. Une construction remarquable qui nous offrait d'entrer dans le laboratoire de l'écrivaine angevine : elle y parlait de ses "fictions qui se nourrissent de trois fois rien", y révélait ce qui peut déclencher le geste d'écrire, brouillant au passage les frontières entre le fictif et le biographique.
Deux nouveaux livres ont été publiés en même temps à La Clé à Molette et inaugurent d’ailleurs le catalogue de cette toute jeune maison : Vianet. La lettre et Quatre-vingt-dix motifs. Récits jumeaux, donc, non seulement parce qu’ils ont vu le jour ensemble mais parce qu’ils s’éclairent l’un l’autre, tant est grande leur parenté thématique et stylistique.
Vianet. La lettre s’ouvre sur un courrier administratif enjoignant la narratrice de partir sur-le-champ ; elle doit venir récupérer (dans une ville que l’auteure ne nomme pas) les biens qu’un ex-époux a abandonnés chez lui, après s’être volatilisé. De là un "road trip", moins géographique qu’introspectif : les souvenirs de l’homme jadis aimé – et d’autres plus lointains encore – alternent avec le récit du voyage le long de la Loire, puis des jours passés dans l’appartement déserté.
Quatre-vingt-dix motifs amplifie encore ce procédé de narration-puzzle, le titre renvoyant à sa subtile composition : trente séries de trois paragraphes (l’amant absent, l’histoire familiale, la création littéraire) construisent un portrait de femme entre sensualité et déchirement. Et le lecteur a le sentiment que c’est la même femme qui, d’un livre à l’autre, interroge la relation amoureuse, le rapport à la création, mais aussi, très discrètement, la douloureuse question de la filiation et de la maternité.
Doit-on pour autant en conclure que les livres de Frédérique Germanaud sont autobiographiques ? Rien n’est moins sûr : "L’écriture a contribué à m’enhardir, à me dépouiller du costume. Reste le goût du jeu. De l’autobiographie à la fiction, j’aime brouiller chemins et frontières.", confie la narratrice de Quatre-vingt-dix motifs.
Goût du je, goût du jeu… Goût pour les livres des autres aussi : l’écrivaine multiplie les références aux auteurs aimés, lus et relus, au point qu’ils deviennent constituants du récit. C’est que lire est essentiel à l’activité d’écriture, autre "motif" central dans les deux œuvres. Ce qui importe à Frédérique Germanaud, en effet, c'est sans doute moins de faire le récit d'une aventure que de mettre en scène l'aventure du récit. En témoigne cet autoportrait de l'écrivaine écrivant : "La table de jardin en tôle à laquelle je suis installée brûle le poignet. Je porte ma chaise sous le pêcher. Puis reviens sur le banc. Rentre dans la maison. J’abandonne le carnet et vais m’allonger dans ma chambre. La chaleur m’endort brutalement." On l’aura compris, le bonheur de lecture que procurent ces récits tient aussi à leur style : langue ciselée à l'extrême, qui tend à l’épure.
Leur force vient enfin de ce que l'intime de l'auteure me parle, à moi lecteur. Loin du ressassement égotiste, l’autofiction, chez Frédérique Germanaud, sert une philosophie du bien vivre, et d'abord du "bien voir" : l’écriture de soi est un outil pour saisir les manifestations infimes du réel, pour être attentif à la sensation :
"Une seule parcelle de moi reste fraîche : la plante de mes pieds posés nus sur le carrelage blanc. Les mots devraient rester aussi simples que cette sensation."
Les mots mimant les choses, et les révélant même… N’est-ce pas là tout l'enjeu de la littérature ?
Frédérique Germanaud : Vianet. La lettre, La Clé à Molette, 106 pp., 13.50€, ISBN : 979-10-91189-03-3 ; Quatre-vingt-dix motifs, La Clé à Molette, 70 pp., 13.50€, ISBN : 979-10-91189-02-6.