Jean-Luc Jaunet redécouvre pour nous ce livre paru il y a quelques années.
Envers d’un lieu, endroit de soi
Le Promeneur de la presqu’île, le titre de l’ouvrage de Jean-Luc Nativelle, fait affleurer le souvenir d’autres livres. On songe à La Promenade au phare de Virginia Woolf, rapprochement que renforce encore la belle photo placée en première de couverture. On pense aussi à la nouvelle, toute d’attente et de désir, de Julien Gracq, La Presqu’île, lien que paraît conforter le bref extrait, en exergue, de La Forme d’une ville. Mais la lecture commencée, rien de tout cela ! Loin de se mettre dans les pas d’aussi illustres devanciers, l’auteur a choisi un autre cheminement.
Le livre commence, de manière presque anodine, quand le narrateur décide un soir, dans le village de bord de mer où il habite, de commencer sa promenade quotidienne à l’envers, en partant dans la direction qui le ramène habituellement à son domicile. Comme une sorte de carnet de promenade, les chapitres épousent précisément l’itinéraire suivi par le personnage-narrateur, avec mention, en titre, du nom de la rue, de la place, de l’heure du passage. L’ancrage dans le réel est encore accentué par les brèves et méticuleuses descriptions des maisons qui ouvrent chaque chapitre et balisent ainsi la promenade. Ces petits textes-bornes posés au début de chaque rue apparaissent vite comme autant de stations sur le « chemin de soi » suivi par le personnage. La déambulation dans le village gagné par le crépuscule tourne en effet rapidement à la « promenade intérieure », à l’exploration, à l’envers elle aussi, d’un passé plus ou moins ancien jusqu’à un événement des plus récents.
Et on découvre ainsi au fil des pages, au fil des rues empruntées, la chronique douce-amère d’une vie de couple virant à la tragédie, dévoilée peu à peu, pas à pas, sans rien de rectiligne. Car à la voix du narrateur s’ajoute, pour chaque maison évoquée, celle d’habitants du village ayant eu leur part dans les drames évoqués. De là de troublants effets de contrepoint, certaines scènes étant données à lire deux fois, de deux points de vue, laissant au lecteur le soin de remettre « à l’endroit » le récit, récit que porte une écriture très singulière. Avec un texte sans blancs, d’amples phrases charriant un flot de notations, sur lesquelles d’autres encore viennent librement ruisseler, l’auteur a su trouver moyen d’exprimer la puissante houle du passé remémoré mais aussi la saisie, par le promeneur solitaire, de l’inépuisable richesse du monde et des êtres.
Ce roman pourrait, vu l’âpreté des faits narrés, avoir un goût de sang et de cendre mais, plein d’empathie jusque dans le rendu de chaque voix, attentif à la forte présence des lieux, aux liens qui les unissent à notre vécu, il est avant tout une vibrante quête d’humanité.
Le Promeneur de la presqu’île, par Jean-Luc Nativelle, Éditions du Petit Véhicule, 171 pages, ISBN 978-2-84273-886-0, juin 2012, prix : 17 euros