Existence amont, de Alain Roger

Publié le 10/06/2015 par Gérard Lambert-Ullmann
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Saint Nazaire, ville prolétaire, est peu appréciée des "esthètes en mal de beauté". Alain Roger, qui y a passé son enfance, avoue y avoir grandi "dans le désamour du lieu" avant de constater, l’âge adulte étant venu, qu’il "l’aime d’un amour secret".

Il s’efforce donc ici de "voler au secours d’un lieu si souvent blâmé (…) chercher des mots et des couleurs pour enluminer le tableau pâlichon d’une ville à la remorque de son port, de ses chantiers, de ses milliers d’ouvriers".
Et il y parvient parfaitement.

Il faut dire qu’Alain Roger est dotĂ© d’une plume d’une grande Ă©lĂ©gance, adressant Ă  Julien Gracq plus d’un clin d’œil. Son Existence amont est ciselĂ©e au burin d’une Ă©criture aussi fine que sensible, dont l’humour n’est pas exclu : "Bâtir une ville depuis le ciel conduit les habitants Ă  se voir en oiseaux. Le crayon de l’urbaniste aurait dĂ» nous doter d’ailes".

Promenant son regard d’enfant d’hier de retour dans sa ville, Alain Roger sait en dire le charme Ă©trange, celui d’un lieu oĂą la beautĂ© n’est pas "Ă©vidente et surgie", oĂą il faut creuser de l’œil sous le bĂ©ton pour en trouver le "tricot". Des Ă©cluses du port et de la base sous-marine avec son eau "dense au point d’avaler la lumière", aux jardins ouvriers dont la terre est "piquĂ©e de marques noires comme la bile d’un mĂ©lancolique", jusqu’à la plage de Bonne Anse oĂą "l’estuaire s’estompe, ses tons bistres bus par le bleu de la mer" (et dont le nom susurrait aux oreilles de l’enfant : "Bonheur et bonnes vacances"), la "ville blanche" que revisite Alain Roger perd toute tristesse. Et l’on se dit que son pari â€” "S’ils sont bien choisis, ces mots pourraient convaincre d’autres que moi" — est clairement rĂ©ussi.

Alain Roger, Existence amont, Joca Seria, 72 pp.,  13 €, ISBN : 9782848092379