Saint Nazaire, ville prolétaire, est peu appréciée des "esthètes en mal de beauté". Alain Roger, qui y a passé son enfance, avoue y avoir grandi "dans le désamour du lieu" avant de constater, l’âge adulte étant venu, qu’il "l’aime d’un amour secret".
Il s’efforce donc ici de "voler au secours d’un lieu si souvent blâmé (…) chercher des mots et des couleurs pour enluminer le tableau pâlichon d’une ville à la remorque de son port, de ses chantiers, de ses milliers d’ouvriers".
Et il y parvient parfaitement.
Il faut dire qu’Alain Roger est doté d’une plume d’une grande élégance, adressant à Julien Gracq plus d’un clin d’œil. Son Existence amont est ciselée au burin d’une écriture aussi fine que sensible, dont l’humour n’est pas exclu : "Bâtir une ville depuis le ciel conduit les habitants à se voir en oiseaux. Le crayon de l’urbaniste aurait dû nous doter d’ailes".
Promenant son regard d’enfant d’hier de retour dans sa ville, Alain Roger sait en dire le charme étrange, celui d’un lieu où la beauté n’est pas "évidente et surgie", où il faut creuser de l’œil sous le béton pour en trouver le "tricot". Des écluses du port et de la base sous-marine avec son eau "dense au point d’avaler la lumière", aux jardins ouvriers dont la terre est "piquée de marques noires comme la bile d’un mélancolique", jusqu’à la plage de Bonne Anse où "l’estuaire s’estompe, ses tons bistres bus par le bleu de la mer" (et dont le nom susurrait aux oreilles de l’enfant : "Bonheur et bonnes vacances"), la "ville blanche" que revisite Alain Roger perd toute tristesse. Et l’on se dit que son pari — "S’ils sont bien choisis, ces mots pourraient convaincre d’autres que moi" — est clairement réussi.
Alain Roger, Existence amont, Joca Seria, 72 pp., 13 €, ISBN : 9782848092379