En 1990, Jean Rouaud reçut le prix Goncourt pour son premier roman Les champs d’honneur, un des Goncourts les plus solides de ce quart de siècle qui se vend et se lit encore et se relit même avec grand plaisir.
Il a ensuite écrit bon nombre de romans, récits, et essais (réussis) qui ont fait de lui une des figures majeures de la littérature française contemporaine.
Mais n’allez pas croire que ça a été facile !
Pour preuve du contraire, Jean Rouaud ne cesse de nous décrire depuis quelques livres, dont celui-ci : Être un écrivain (quatrième volume du cycle La vie poétique), le combat qu’il a mené contre lui-même ("affronter la face de la Gorgone intime") et contre les oukases du monde littéraire du temps de sa jeunesse pour parvenir à écrire sur « le réel » d’une façon qui lui convienne.
Rude bataille pour le jeune gars (prononcez "gâu") provincial, d’abord terrorisé par les diktats du Politburo moderniste ayant décrété la mort du roman et l’avènement du seul « texte ». Il lui fallut des années de "tâtonnements poétiques" pour s’émanciper des "seigneurs" régnant sur les lettres du haut de leur suffisance "révolutionnaire", et trouver sa voie singulière. Des borborygmes qu’il a d’abord pondus sous cette influence Jean Rouaud nous offre quelques exemples réjouissants.
Heureusement, il y eut les cousins et leurs copains, bien moins soucieux, qui surent lui montrer qu’on peut jouer du violon sans être Paganini et chanter des chansons au charme suranné mais parlant plus fortement du "réel", malgré leur déglingue syntaxique, que toutes les "cathédrales de mots" dont il ne fallait surtout pas dire que "l’eau passe au travers". Heureusement, il y eut aussi Kerouac et ses Clochards célestes lus sur la route aux moments où le stop ne marchait pas ou entre deux ventes de glaces et de beignets sur la plage. Et les affreux « modernes » durent reculer devant la nouvelle chanson qui montait aux lèvres du petit guitariste amateur et immature. Heureusement car "le parti de la vie était à ce prix".
Ceux qui connaissent bien l’œuvre de Jean Rouaud se diront peut être que, tout cela, il nous l’a déjà dit plus d’une fois. Mais il faut lui reconnaître cette qualité, propre à un bel écrivain, que c’est à chaque fois d’une manière différente et avec des épices en plus dans le plat de résistance. Et quand on retrouve, au détour d’une page, Grand-mère Funibus Folk et sa version française déchirante de "Baby please don’t go" ("Faut pas t’en aller"), on n’a pas envie de bouder son plaisir. Sans doute, ça ne fera pas l’affaire d’autres "clowns blancs", mais qu’importe. Je suis comme Jean Rouaud : les « phrases en faux cils » ne m’intéressent pas.
Jean Rouaud, Être un écrivain, Grasset, 352 pp., 19 €, ISBN : 9782246803782