Un enfant est mort. En Charente, au lieu-dit La Quina. Il avait cinq ou six ans. Cause : inconnue. Vous n’en avez pas entendu parler aux dernières infos ? Normal. C’est que l’événement remonte un peu. À quelque 35 000 ans.
Un délai suffisant, sans doute, pour que la mort d’un enfant n’émeuve plus personne, mais vraisemblablement pas assez long pour qu’aucun ne s’y intéresse.
C’est le cas de Philippe Forest, qui y consacre un ouvrage, L’Enfant fossile, aux éditions Invenit. Ce court texte s’inscrit dans collection “Récits d’objets“, qui invite des écrivains à s’emparer d’un objet et d’en faire le point de départ d’un récit, d’où le titre de la collection.
Philippe Forest a choisi le fragment de mâchoire Q761 découvert, ou plutôt “inventé“ pour employer le terme consacré par les archéologues, par le collectionneur Claudius Côte sur le site de La Quina en 1933. Ce fragment, qui se trouve aujourd’hui au musée des Confluences à Lyon, appartient à un Homo sapiens enfant ayant vécu à l’Aurignacien et… Mais à quoi bon en dire davantage sur le “plus ancien homme moderne français“ ? Est-ce là ce qui intéresse vraiment Philippe Forest ?
Un peu sans doute. Enfin juste assez pour se donner la possibilité d’aborder un autre sujet : le temps. Celui qui passe inexorablement. Celui qui enfouit plus sûrement qu’aucun autre sédiment les traces de ce qui a vécu. Car que raconte le fossile de La Quina sur notre espèce ? Pas grand-chose, au fond, sinon une illusion : des hommes bien actuels qui croient reconstituer avec fidélité une humanité disparue à partir d’un fragment de mâchoire. L’enfant de La Quina, malgré un reste fossile qui tient au creux d’une main, a bel et bien disparu. Le temps a effacé son existence, comme le temps efface(ra) la nôtre.
En plongeant dans son enfance, en mettant au jour certains de ses épisodes — ceux où il partait à la chasse aux fossiles pendant les grandes vacances – afin de les porter à la connaissance de ses lecteurs, Philippe Forest s’aperçoit de la supercherie. Les souvenirs contiennent autant de vérité que les interprétations prêtées aux fossiles. Juste des conjectures. Voire des mensonges.
Dans un style exigeant, mais jamais ampoulé, accessible, sans jamais sombrer dans la facilité, Philippe Forest nous livre un message : nous sommes tous des enfants fossiles, porteurs d’une histoire plus fantasmée que vécue, et destinés à l’oubli.
Et c’est là, sans doute, que le bât blesse. Philippe Forest nous offre une vision désespérante de l’existence humaine, réduite à un bout d’os égaré dans l’éternité. Malgré ce fragment de mâchoire, qui se soucie aujourd’hui de l’enfant de La Quina ? Malgré sa découverte, qui s’intéresse encore à Claudius Côte ? Malgré ses souvenirs, que reste-t-il de l’enfance de tout homme ? Rien, ou presque rien. Ce constat doit-il nous inciter à profiter du moment présent, seule parade à l’absurdité de nos vies ? Ce n’est peut-être pas la leçon dispensée par Philippe Forest, mais c’est la conclusion que nous pouvons tirer de ce beau livre qui redonne malgré toute sa chance à un enfant fossile ignoré de tous.
L’Enfant fossile, par Philippe Forest, Éditions Invenit (80 pages, 10 €, ISBN 9782918698678)
Entretien avec Philippe Forest au sujet de ce livre