Une bande-dessinée qui réussit le pari de la transmission de l’Histoire sociale d’après-guerre de jolie manière.
Dans Plogoff, le duo formé par Alexis Horellou et Delphine Le Lay (auteurs installés dans le petit village de Niafles en Mayenne), retraçait la lutte d’un petit village breton contre l’implantation d’une centrale nucléaire et se situait dans la lignée d’auteurs comme Etienne Davodeau, utilisant le 8ème art pour plonger dans l’Histoire des gens ordinaires. Pour leur nouvel album, ils se sont associés à la réalisatrice Marion Boé, auteure du documentaire La cité des abeilles, tout en utilisant ce qui faisait la force du récit dans Plogoff : donner à voir l’Histoire sociale – ici, celle des Castors de Quimper – par le biais de quelques personnages, à la fois exemplaires et singuliers.
L’expressif dessin d’Alexis Horellou suit deux familles quimpéroises en 1950, qui vivent chichement dans un appartement insalubre et étriqué, comme bien d’autres : la France fait alors face à une crise du logement sans précédent. Dans plusieurs villes, pour améliorer leurs conditions, des ménages se regroupent et créent des associations « Castor », du nom de ces mouvements d’auto-construction coopérative. Le principe : ils fabriquent eux-mêmes, de façon solidaire, leurs logements.
A Quimper, c’est l’association des Abeilles, que Jeannette, Victor, Marie-Anne, André et leurs enfants rejoignent. Chacun des 100 ménages quimpérois, pour accomplir son rêve de vie meilleure, paie une mise de départ et s’engage à apporter de l’apport-travail, soit 32 heures par semaine et la moitié des congés payés passés au service des Castors, en particulier au chantier. Du nivellement du terrain à l’extraction des pierres d’une carrière, de la surveillance du chantier aux finitions, le travail est épuisant et non sans conséquence sur la vie de famille, tournée vers l’avenir et l’espoir.
Les auteurs réussissent, avec une vraie économie de moyens et un sens aigu de l’ellipse a faire comprendre mais aussi ressentir. Le lecteur suit pas à pas toutes les étapes de cette formidable expérience : comment convaincre 100 familles de rejoindre ce projet un peu fou, les tensions avec le ministère et entre les participants, la pose de la première pierre sous le regard bienveillant de l’évêque de Quimper et du préfet du Finistère… Jusqu’à l’inauguration en juillet 1954. Mais il ressent, aussi, l’optimisme teinté de fatigue, le regard extérieur moqueur ou bienveillant… Puis, enfin, l’admiration pour ces familles qui ont défendu des valeurs fortes de solidarité et d’utopie.
Aujourd’hui, alors que la Cité des abeilles vient de fêter ses 60 ans et que les témoins directs disparaissent peu à peu, les auteurs de cette bande-dessinée réussissent le pari de la transmission de l’Histoire sociale d’après-guerre de fort jolie manière.
100 maisons: la cité des abeilles / scénario, Delphine Le Lay & Marion Boé ; dessin, Alexis Horellou ; gris, Bert & Alexis Horellou. - [Paris] : Delcourt, DL 2015. - 1 vol. (143 p.) : ill. ; 23 cm. ISBN 978-2-7560-4957-1 (br.)