La nouvelle fera le bonheur de tous les Nantais et elle devrait ravir les services culturels et touristiques de la capitale ligérienne : oubliez Vérone, Roméo et Juliette sont nés à Nantes ! Enfin, presque… La légende des amants a certes des sources qui remontent à la plus lointaine Antiquité. A la Renaissance, elle prit naturellement forme d’abord sous la plume d’auteurs italiens. Il n’en est pas moins vrai que Shakespeare n’en eût connaissance qu’à travers un poème anglais qui, lui-même, constituait la traduction de la version très personnelle qu’en donna un certain Pierre Boaistuau (1517-1566), auteur nantais.
Son nom – au demeurant imprononçable – ne vous dit rien ? C’est normal. Je n’en avais pas plus entendu parler que vous. Mais c’est dommage aussi. On doit à deux professeurs de l’Université de Nantes, Nathalie Grande et Bruno Méniel, l’idée formidable de célébrer le cinq centième anniversaire de sa naissance. Un colloque – qui s’annonce passionnant à en juger par les interventions et les orateurs annoncés – lui sera consacré du 22 au 24 juin prochain dans la salle Jules Vallès de la Médiathèque Jacques Demy, précédé d’une conférence introductive donnée par Bruno Méniel le 15 juin (voir programme ci-joint).
Si l’on me demandait mon avis – mais rassurez-vous : ce n’est jamais le cas –, je serais assez partisan de ce que notre université, en quête d’un nom depuis bien longtemps, choisisse le sien. Il l’a mérité mieux que beaucoup d’autres auxquels on pourrait plutôt penser. Faute de les avoir encore lus – mais je m’engage à le faire –, j’en juge seulement d’après les extraordinaires titres qu’il a donnés à ses livres. Par exemple : Histoires prodigieuses les plus mémorables qui ayent esté observées, depuis la Nativité de Iesus Christ, iusques à nostre siècle : Extraites de plusieurs fameux autheurs, Grecz, & Latins, sacrez & profanes. Ou encore et plus simplement : Le Théâtre du Monde – titre que je lui envie et que je ferais bien mien, tant il a de résonnances d’Aragon à Shakespeare.
À en croire les informations dont je dispose, Boaistuau a écrit à peu près sur tout. Pour user de l’adjectif que Joyce forge dans Ulysse, il fut un esprit « picdelamirandolesque » comme on l’était en son temps. Avec une prédilection pour des sujets dont nul ne peut se désintéresser : Satan et les monstres, l’astrologie, la politique et même l’Islam. On ne peut faire plus cohérent et plus actuel, je crois. L’amour aussi. On le connait sur les bords de la Loire comme sur ceux de l’Adige. Nous avons nos Montaigu et nos Capulet. Et la lune brille partout pareil, astre inconstant au nom duquel il convient de ne pas jurer si c’est pour promettre une passion éternelle. Il conduit aux mêmes excès, aux mêmes extrémités. Qui ne rêve d’un baiser pour mourir ? Boaistuau compile et traduit, il réfléchit et il raconte, il se souvient et il imagine, il cite et il inspire. Bref, il écrit – ce qui n’est pas toujours, on me l’accordera, le cas avec les auteurs, qu’ils soient d’hier ou d’aujourd’hui. Il faut le lire !
Philippe FOREST
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