Quelques questions à des écrivains en résidence en Pays-de-la-Loire, automne 2015
"Ce lieu est donc déjà là, bien avant de m’accueillir et il le restera, sûrement, bien après l’avoir quitté " (Hélène Gaudy)
Après Sylvain Coher, Delphine Brétéché, Anne Savelli et Virginie Gautier (dont le livre Ni enfant, ni rossignol, tiré de sa résidence de 2014 paraît ce mois-d’octobre 2015 chez Joca Seria), c’est au tour d'Hélène Gaudy de venir rôder en cet étrange territoire («un lieu qu’on ne peut jamais voir en entier », comme le dit Arnaud de La Cotte, responsable et hôte de ces présences d’auteurs).
Hélène Gaudy sera en résidence dans la commune de Saint-Aignan – 4 fois une semaine - d’octobre 2015 à juin 2016. La résidence organisée en partenariat étroit avec la commune et la médiathèque « le Jardin de Lecture » est un moment particulier de rencontres avec les lecteurs et les habitants.
L’association de l’auteur et du lac, toujours pertinente du fait des critères humains et littéraires présidant à cette union, est cette fois encore pleine de sens : Hélène Gaudy, romancière et auteure jeunesse, venue à l’écriture par les arts plastiques, est une auteure concernée par les lieux, par les questions d’espace : pour exemples, ce travail réalisé avec des adolescents de Noisy-le-Sec durant une résidence en Île-de-France ou son prochain livre, Une île une forteresse, à paraître en janvier 2016 aux éditions Inculte.
La première période de résidence s’étalera du 5 au 10 octobre 2015, semaine durant laquelle seront organisés un atelier d'expression, un comité de lecture, une rencontre publique. Cet événement et les autres seront annoncés et relayés sur le site de l'Esprit du lieu. Entretien :
Hélène Gaudy, Qu’attendez-vous de cette résidence ?
Hélène Gaudy: Le déplacement est un moteur essentiel pour moi, même s’il n’agit souvent sur l’écriture que de biais, ou à retardement. Un voyage dans un lieu peut en faire resurgir un autre, quitté depuis longtemps. La temporalité de l’écriture et celle de ce que je suis en train de vivre ne coïncident pas en général, mais l’acte même du déplacement, l’extraction du temps quotidien rappellent tous les autres moments suspendus, « en dehors » — ça ouvre des trous, des vides qui suscitent l’écriture. C’est aussi très mécanique : ça relance une machine, ça remet quelque chose en mouvement.
Que ressentez-vous, qu’attendez-vous du lieu envisagé (les alentours du lac de Grandlieu), où vous allez résider ?
Hélène Gaudy: Être « invité » dans un lieu, c’est avoir l’impression que quelqu’un y a trouvé un écho au travail qu’on essaie de mener — qu’un lieu, quelque part, nous connaît, alors qu’on ne le connaît pas encore. Je voudrais que ce lieu recèle tout ce que j’y projette et en même temps, je sais qu’il ne le fera pas, qu’il m’emmènera ailleurs, que c’est justement le principe d’une résidence, offrir des lieux à imaginer puis faire advenir tout ce qui dépasse, déborde l’idée qu’on s’en fait — une nouvelle forme de quotidienneté, l’ennui parfois, la solitude et bien sûr, les rencontres. J’attends d’être surprise et j’attends des retrouvailles avec des ambiances, des images. J’attends de faire fructifier les différences entre ce que j’imagine et ce que je vivrai. J’aime cette idée que quelque chose se diffuse avant, se diffusera après. Mais le moment de la résidence, finalement, est le seul sur lequel on a peu de contrôle, le seul qui échappe aux petits mécanismes d’écriture et de projection mentale. Ça crée un tiraillement dans l’espace du roman qui, sans ce genre d’appel d’air, risquerait de se refermer sur lui-même.
En quoi s’inscrit-il dans votre horizon d’écriture ?
Hélène Gaudy: Quand Arnaud de la Cotte, de l’association l’Esprit du lieu, m’a parlé pour la première fois du lac de Grand-Lieu, il me l’a décrit comme « un lieu qu’on ne peut jamais voir en entier ». J’ai d’abord eu du mal à comprendre comment un lieu pouvait être ainsi parcellaire, fragmenté. Il m’a expliqué que, tout simplement, les rives très sauvages du lac n’y ménageaient que peu de points d’accès. Que pour distinguer sa forme, il fallait le voir du ciel, qu’on ne pouvait en avoir que des vues tronquées, toujours différentes. La question de la multiplicité des points de vue que j’essaie d’explorer dans mes livres, cette impression qu’on tourne toujours autour d’un point invisible qu’on ne peut que reconstituer par fragments s’est, en quelque sorte, « géographiquement » incarnée. À tel point que l’idée même de ce lac, avant que la résidence ait commencé, l’a inscrit dans mon livre en cours (comme une image de ma difficulté à voir, dans son ensemble, la ville sur laquelle je suis en train d’écrire). Ce lieu est donc déjà là, bien avant de m’accueillir et il le restera, sûrement, bien après l’avoir quitté.