🚨 Culture en Crise 🚨

Politique d’achats : les libraires d’ALIP se livrent... librement

Publié le 14/02/2018 par Jean-Luc Jaunet
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Il faisait, ce lundi 29 janvier, bien gris et bien tristounet dehors. Mais dedans, à l’étage, dans le salon-cocoon de la librairie Les Bien-Aimés, c’était ambiance thé-chouquettes et pétillants échanges.

Il faut dire que l’ALIP (Association des Librairies indépendantes en Pays de la Loire) avait mis dans le mille en proposant aux libraires adhérents de se rencontrer pour échanger sur leurs politiques d’achats. Elles étaient 12 et ils étaient 2, donc, autour de Delphine, à vouloir partager leur expérience, leurs difficultés, leurs interrogations. Et dès les présentations, qu’il s’agisse de grandes ou de petites librairies, spécialisées ou générales, en grande ville, en périphérie ou dans de petites communes, on était bien dans le monde de la passion du livre et de la lecture. La guirlande de leurs noms, à elle seule, était comme une suite de livres, attirants, beaux, familiers ou intrigants : L’Odyssée, l’Embellie, Les Bien-Aimés, Lise et Moi, Le Livre dans la théière, Agora, La Luciole, Aladin, Parchemins, Les Lucettes, La mystérieuse Librairie nantaise. 

Mais très vite, à travers la livre parole de chacun, on prend conscience que le monde de la librairie n’a rien d’un Eldorado, qu’il faut sans cesse veiller aux volumes des dépenses et des recettes pour ne pas tanguer ; qu’on penche plus souvent, en trésorerie, du côté du « livre pauvre » que du « livre d’or ». Et si un libraire doit aimer lire, il lui faut aussi, impérativement, savoir compter, sans, toutefois, s’en laisser conter. Car les négociations avec les diffuseurs sont souvent âpres et tortueuses, nécessitent de longs et patients marchandages.

En fait, la politique d’achats des libraires tourne autour de quelques grandes problématiques, bien ciblées par Delphine, quelques « grands R » qui accaparent fortement leur attention. « R » comme « remise», , « R » comme « renégociation », « R » comme « réassort » ou « R » comme « retours ». Et pour obtenir les meilleures conditions ou se sortir au mieux de ces multiples « R », il faut bien souvent entretenir de bonnes relations avec le grand « R » en personne : le « Repré » ! 

Le « repré », représentant du/des diffuseur(s), est, cela transparaît vite dans les propos, un rouage important dans la grande machinerie du commerce du livre. Mais des représ, il y en a de toutes sortes et la plaisante galerie de portraits qu’en font les libraires ressemble à une collection de Schtroumpfs. Il y a le repré-fantôme, un nom seulement, invisible, mais aussi le repré-laboureur qui met un point d’honneur à arpenter tout son territoire et à visiter chaque chaumière, le repré-qui-veut-tout-placer et qui pourrait être vendeur multicarte en électroménager, le repré-pleureur qui se met à larmoyer quand on lui dit ne pas aimer ce qu’il propose, etc. Mais il y a aussi le repré-complice qui aime prendre son café chez vous et peut faciliter la renégociation de la remise accordée sur les ventes. 

Le pourcentage de remise, c’est en effet l’obsession financière des libraires. Variable, opaque, peu critériée, elle fonctionne à l’inverse du réchauffement climatique et de la montée du niveau des mers qui s’ensuit. Ici, gagner un, deux, voire trois points de remise, c’est pouvoir mettre la tête hors de l’eau, ne plus devoir ramer, avoir l’assurance de rester à flot.

Et les sujets de préoccupation se bousculent ! Travailler ou non avec l’office, ces listes de nouveautés préparées par les diffuseurs où tout prendre permet une surremise mais expose aux difficultés des retours. Les retours, un problème lourd, très lourd. Pour le transporteur, mais plus encore pour la trésorerie de la librairie. Et le réassortiment ? A quel moment, avec quelle fréquence ? sur quelles bases ? Et les achats événementiels comme lors de la visite-signature d’un auteur ? Et l’acceptation de dépôts d’éditeurs auto-diffusés, qui s’apparentent plutôt à des gestes « humanitaires » qu’à des pratiques commerciales ? Chacun(e) donne sa ligne de conduite, son impression, livre son point de vue ; et, en marge des mots mêmes, c’est toute une solidarité professionnelle, voire amicale, qui s’exprime dans les propos.  

Est-ce le fait d’avoir évoqué, et parfois dissipé, certains des nuages sombres qui pèsent sur le monde des librairies indépendantes, mais toujours est-il qu’en sortant il faisait presque beau, avec une jolie mise en page du ciel !