Mardi 12 juin 2018, au Château des Ducs de Bretagne, NANTES, France.
En cette soirée de mardi, le Forum de Mobilis avait pris ses quartiers au Château des Ducs de Bretagne, sous les murailles duquel, autrefois, coulait la Loire.
Mais ce jour-là , c’est un autre grand cours d’eau qui faisait l’actualité : l’Amazone, le plus grand fleuve du monde. Si grand et si puissant que le créateur d’Amazon ne voulut pas d’autre nom pour baptiser son entreprise naissante de librairie par correspondance, qu’il voulait voir arroser et irriguer la Terre entière. C’était en 1995 aux USA et, depuis, Amazon est bien devenu ce dragon économique prenant le monde dans ses anneaux, cet ogre du commerce électronique dont on apprécie volontiers les services sans mesurer les méfaits de sa dévoration. Réunis pour évoquer cette force déferlante, ils étaient trois, ce soir-là : Guillaume Husson, délégué général du Syndicat de la librairie française, Hervé Hugueny, chef des informations pour « Livre Hebdo » et Daniel Cousinard, directeur à Nantes de la librairie Durance, ce dernier ayant même succombé quelque temps aux sortilèges d’Amazon, avant d’échapper à son emprise.
Pour les aider à lever le « voile d’invisibilité » qui entoure les pratiques du géant du Web, Christelle Capo-Chichi, l’animatrice de la soirée, a fait merveille. Avec agilité et finesse, elle a accompagné ses trois interlocuteurs dans l’exploration de l’immense territoire amazonien, les incitant à signaler, en dehors des parcours les plus fréquentés, les mieux balisés, certains cheminements moins fréquentables, certaines zones d’ombre où pourrait sévir le braconnage économique.
On a ainsi découvert diverses tentatives passées ou présentes d’Amazon pour tourner la loi Lang et écorner le prix unique du livre : faciliter les soldes ou mettre en vente, sous l’appellation « livres d’occasion », des livres neufs ayant suivi des circuits tortueux. On a eu aussi un aperçu des relations brutales qui peuvent s’instaurer avec les vendeurs : augmentation de 10 à 15%, sans avertissement, de la commission prélevée sur les ventes ; suspension soudaine des offres d’un libraire suite à une baisse minime de sa notation client, et blocage des sommes dues.
Le plus inquiétant concerna cependant l’expansionnisme de l’entreprise. L’ogre a de plus en plus faim : après le quasi-monopole sur le livre, sont maintenant convoités les vêtements, le marché alimentaire, les services informatiques comme le stockage de données… Et tout cela en éteignant la concurrence, en l’étouffant par des ventes à perte, comme la gratuité des frais de port, qui permettent la prise de parts de marché. Avec la puissance de sa logistique, plus de 300 entrepôts géants dans le monde, toute une flotte de camions, d’avions et, maintenant, de drones, le pari du créateur d’Amazon semble bien près d’être gagné : régner sur la planète tout entière.
A ce moment de l’échange, chacun dans la salle se sentait petite « chose » sans défense, ballotée et emportée par une force impétueuse. Mais Christelle veillait. Pas question de finir cette soirée en sombrant, en laissant Amazon nous engloutir ! Et les interlocuteurs furent invités à décrire les barrages mis en place pour la sauvegarde des librairies indépendantes : ainsi, les procédures judiciaires dénonçant les pratiques déviantes d’Amazon par rapport à la loi Lang, même si les procès sont fort longs. Fut surtout affirmé que la parade la plus sûre et la plus proche pour endiguer le raz-de-marée du géant américain était la qualité du service au « client », la relation particulière qu’établit avec lui un libraire, autour des livres. Irremplaçable et bien supérieure aux propositions de lecture fournies par les algorithmes du site de vente en ligne.
Non, décidément, Amazon n’est pas un long fleuve tranquille, «… et plus me plaît mon Loire gaulois » !
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