Après sept années passées à la tête du Pôle régional de coopération des acteurs du livre et de la lecture en Pays de la Loire, Emmanuelle Garcia prend un nouveau départ professionnel. Retour sur une expérience intense.
Le 1er septembre 2014, lorsqu’Emmanuelle Garcia prend ses fonctions de directrice de Mobilis, rien de matériel n’existe encore : ni locaux, ni équipements. Bien sûr, la structure juridique, une association née de la conférence régionale consultative pour la culture, est bien en place, portée par un conseil d’administration (CA) formé de professionnels motivés, emmenés par le président d’alors, Philippe Forest. Mais tout est à créer. Et ce, pour la plus grande joie d’Emmanuelle ! « J’ai ardemment désiré ce poste ! Je suis une bâtisseuse ! L’idée de rejoindre une structure au moment de sa création était enthousiasmante, intellectuellement très stimulante ».
Dès le départ, le CA impose l’idée de faire de Mobilis un outil appartenant aux professionnels. « Les soutiens de la Région et de la Drac étaient indispensables, mais pour éviter un positionnement trop descendant, en accord avec nos moyens, nous avons eu le souci constant de faire preuve de pragmatisme et d’observer la filière du livre telle qu’elle est, et non pas telle que l’on voudrait qu’elle soit. D’être en prise avec le terrain. Cette vision était pleinement partagée et soutenue par Philippe Forest ; ce fut une chance de bénéficier de sa présence et de son dévouement. Son aura littéraire et universitaire a ouvert beaucoup de portes au Mobilis naissant. Ce grand facilitateur se rendait toujours disponible, répondait à la moindre sollicitation. Par la suite, les deux présidentes successives, Claudine Paque puis Emmanuelle Morice ont démontré les mêmes qualités d’engagement, de confiance et d’audace. Chacune à leur manière, elles ont maintenu cette ouverture d’esprit ».
Liberté, réalité, proximité
Le soutien et l'entente avec le CA sont indispensables pour impulser les premiers chantiers de Mobilis. « Je suis allée à la rencontre de tous les acteurs du terrain. Je bénéficiais d’une expérience précieuse ; ayant été documentaliste et rédactrice à Auxerre, j’avais été administratrice du CRL Bourgogne. Par la suite, devenue éditrice indépendante en Aquitaine, j’avais bénéficié de l’accompagnement du CRL Ecla. Installée ensuite, pour des raisons familiales, en Poitou-Charentes, j’avais enfin rejoint le CRL de cette Région comme chargée de mission puis directrice par intérim. Cela m’a donné une large vision des problématiques propres aux structures régionales pour le livre. Sans connaître les gens personnellement en Pays de la Loire, je comprenais leurs questionnements. Cela apportait beaucoup de liberté et de proximité dans nos premières rencontres. Beaucoup de portes se sont ouvertes : on percevait immédiatement ce profond besoin d’échanges, qui, par la suite, a guidé les actions de Mobilis. »
Hébergée pendant deux mois au sein du Conseil régional, la structure a d’abord besoin d’un lieu. Dominique Coffin, alors chargée du livre pour la Ville de Nantes propose « un endroit très bien situé », marquant ainsi l’engagement de Nantes dans l’aventure. Ce sont les bureaux de la rue de Briord, où Mobilis est toujours installé aujourd’hui. Fin 2014, deux salariées sont embauchées. Mobilis est en ordre de marche.
Accélérateur relationnel
La première réalisation marquante est celle du site internet. « Stéphanie Lechêne, recrutée comme cheffe de projet numérique en est l’architecte. Nous voulions un outil qui nous permette d’être visibles, immédiatement compréhensibles par les professionnels. Avec toujours ce souci de leur permettre d’accéder efficacement aux ressources qui leur étaient utiles. Ce site s’est avéré très performant, notamment dans la gestion de notre base de données. Opérationnel dès mai 2015, il a eu un effet démultiplicateur en termes de mise en relation et nous a permis de franchir un véritable cap. »
Désormais clairement identifiée comme la structure qui fédère les acteurs du livre, l’équipe de Mobilis organise dès juin 2015 à Angers son premier forum, avec, pour seul mot d’ordre : « venez raconter ce que vous faites. » Plusieurs centaines de participants professionnels de la région répondent présents, démontrant ainsi une soif de rencontres et d’échanges jamais démentie par la suite : « nous avons joué, au bon moment, le rôle d’accélérateur relationnel qui était attendu. Le simple fait de permettre aux gens de se rencontrer était inestimable. »
Depuis, les différents forums annuels, journées, ateliers et rendez-vous professionnels organisés par Mobilis continuent de rassembler en nombre. Notamment car, outre le relationnel, le réalisme reste son ADN. Sa capacité à considérer la filière dans toutes ses formes : « aucun sujet n’est sot, tabou ni vain. Nous avons pour mission de prendre en compte les préoccupations de chacun, même, surtout, celles des acteurs les plus fragiles ».
Comment, cependant, refléter la diversité des situations et y répondre ? « Selon moi, Mobilis tient du catamaran : sa légèreté et son agilité lui permettent d’aller vite et de tracer sa route en se jouant des vagues. Ce fonctionnement nous place dans une double filiation. Du fait de notre secteur, nous appartenons au réseau de nos « sœurs », les autres agences régionales du livre présentes à travers le territoire national et que coordonne la Fédération interrégionale du livre et de la lecture (FILL). Dans le même temps, nous avons une parenté tout aussi forte avec les autres pôles culturels des Pays de la Loire (musiques actuelles, arts visuels, cinéma-audiovisiel, patrimoine). Comme nous, ils misent sur des équipes légères de deux à quatre salariés et travaillent à la constitution de grands réseaux actifs. Restant ainsi très en prise avec les professionnels du territoire. »
Enjeux et avenirs
Sept ans après, le temps est-il venu de nouveaux défis ? Pour Mobilis et pour l’écosystème du livre ?
« J’ai véritablement le sentiment qu’une nouvelle période s’ouvre. Depuis les premiers temps de Mobilis, chacun a progressé, développé son carnet d’adresses et les habitudes de mise en réseau sont désormais bien ancrées. Mais la crise sanitaire nous a tous placés en mode survie et a donné un coup d’arrêt à une phase de croissance. Elle a aussi généré beaucoup de souffrance dans nos métiers.
Je sais que Mobilis saura renouveler son contrat avec les professionnels en conservant son agilité originelle, en restant cet outil réactif à leur disposition. En les aidant à agir et se tenir ensemble, malgré la charge de travail individuelle. À faire face collectivement aux questionnements contemporains qui traversent la société autant que la filière du livre : transition écologique et durabilité, coopération, accessibilité, lieux, conditions de vie au travail… Il reviendra à Mobilis de contribuer à toujours plus de solidarité. »
Une évolution qu’Emmanuelle Garcia observera en effectuant un pas de côté qui la mènera à quelques encablures de la rue de Briord. Plus précisément, à l’Institut d’Études avancées de Nantes dont elle deviendra secrétaire générale en mars prochain. Cette fondation nantaise a pour mission d’accueillir en résidence des chercheurs et chercheuses en sciences sociales en provenance du monde entier, souhaitant mener dans la durée un projet de recherche hors de leur cadre académique habituel. C'est un lieu de dialogue favorisant de nouvelles relations intellectuelles entre pays du « Nord » et pays du « Sud ».
« Je retrouverai en cela ma formation d’origine en anthropologie, qui complétait mon DUT Métiers du livre. Cette double formation m’avait permis de travailler pendant sept ans comme libraire en sciences humaines, puis dix ans au magazine Sciences humaines, avant de me consacrer aux métiers du livre. »
Un nouveau départ, donc.
Avec un enthousiasme, une énergie et une force de conviction intacts, les mêmes qu’elle a su mettre, passionnément, avec exigence et ténacité, au service de l’aventure Mobilis.
Une aventure dont elle conservera une reconnaissance profonde envers les trois président et présidentes et les administrateurs qui lui ont fait confiance, l’ont accompagnée, ont rendu le parcours possible et pérenne. Une gratitude toute aussi vive pour Stéphanie Lechêne, Émilie Chevalme et Élise Micheau, son équipe partageant quotidiennement enthousiasmes et convictions, une "dream team" professionnelle et humainement engagée à ses côtés. Et une joie sans ombre d'avoir eu la chance de côtoyer tant de personnes passionnantes animées par des projets intellectuels et culturels militants pendant toutes ces années.
Une aventure dont elle conservera aussi peut-être l’idée qu’ensemble, et avec d’autres, ils et elles ont fait de "cet endroit très bien situé", cette maison commune que la filière du livre des Pays de la Loire attendait.