Disparition de Daniel Bry, l'ami de l'image heureuse

Publié le 30/05/2023 par Thierry Bodin-Hullin
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Daniel Bry, créateur des éditions Chatoyantes, s'est éteint ce lundi 22 mai, à l'âge de 76 ans. Il était un participant actif de la vie du livre en région.

Il faut imaginer Daniel heureux, comme lorsqu'il accueillait artistes créateurs et éditeurs dans sa maison de Chammes (Sainte-Suzanne), ce village de Mayenne, portant les traces de sa mère et de son enfance, qu'il était venu retrouver il y a une vingtaine d'années. L'accueil avait autant d'importance que la séance de travail. Impossible que le café ne soit pas accompagné de croissants, que les huîtres du déjeuner ne soient pas servies avec le vin adapté, que le gîte ne soit pas offert dans la chambre la plus lumineuse. Chez Daniel et Michèle, on ne venait jamais pour une ou deux heures, mais pour un ou deux jours, tout se déroulait dans le temps arrêté de son « atelier-maison » comme il aimait à le présenter.



Dans l'immense pièce de travail d'environ 50 m2, tout témoigne de la création artistique qui habite le maître des lieux. Tout traîne dans un bazar merveilleux bien orchestré. Livres à foison, affiches en tous coins et recoins, rouleaux de papier, cartons, boîtes, chutes diverses, cutters, règles, massicots, colles, crayons, étagères (ah ! tous ces vieux numéros de la revue FMR) et, un peu caché au fond, derrière un panneau de bois envahi de cartes et d'images, LA machine. Daniel Bry était un éditeur-imprimeur, un des derniers de France, un des rares éditeurs-imprimeurs numériques.

Imaginer Daniel heureux présenter, comme d'autres le feraient de leur toute nouvelle voiture, son EPSON à jet d'encre 12 couleurs, de deux mètres de long et d'un mètre de hauteur ! Quel plaisir alors d'assister à la sortie d'une affiche au format XXL aux couleurs impeccables, au rendu bluffant, d'une « fidélité – presque - parfaite », est-il écrit sur son site ; le « presque » est modeste.

Depuis près de trente ans, il travaillait pour les plus grands hôtels et palaces du monde. « Les images que je fais pour les hôtels palaces, restent en moyenne cinq ans. Certaines sont exposées plein soleil et ne se dégradent pas. » New York, Pékin, Venise, Paris... accueillent ses somptueuses reproductions d'estampes.



Des reflets pudiques et sensibles

L'activité d'édition commence en 2011. Ce sont autant des petits livres carrés, des leporellos le plus souvent, des « petits livres beaux » comme il les appelle, dont le premier tirage excède rarement les 100 exemplaires, ou alors des grands formats, des éditions encore plus limitées de reproductions d'oeuvres contemporaines ou anciennes, comme ses Cahiers d'estampes, d'imposantes pochettes de 50 sur 70 cm. Avec chaque artiste, le travail est personnalisé et se construit avec connivence et confiance. Quelques noms : Antoine Bénard, Philippe Guesdon, Pierre Matthey, Vinça Monadé, Jean-Yves Cousseau, Willy Durand. Il édite les femmes qui ont partagé sa vie : Agnès Desflèches et Michèle Guérard. Il y aussi cette collection de reflets (1000 villes reflets), des photos en noir et blanc, originales et insolites, prise dans les villes traversées (Saint-Malo, Le Mans, Angers, Nantes, Ancenis, Laval, Sainte-Suzanne...), des reflets pudiques et sensibles qui lui ressemblent tant.



Les acteurs du livre des Pays de la Loire auront eu le plaisir de le voir sur des salons collectifs (Bruxelles, Saint-Malo, Le Mans...) où il ne passait pas inaperçu, il prenait de la place avec ses  imposants ouvrages. Sa participation ces dernières années au conseil d'administration puis au bureau du collectif d'éditeurs en Pays de la Loire (Coll.Libris) est grandement appréciée. Sa façon de partager ses expériences, ses idées, son naturel, ses envolées passionnées, apportent le pas de côté nécessaire à la démarche collective. On se souviendra de ses aménagements de stands conçus de ses propres mains, de son attention portée à la fabrication des livres de ses collègues et de ses conseils avisés (il est incollable sur Photoshop), de sa bonne humeur communicative.



Daniel Bry avait toujours une idée en tête et toujours des projets à mener. Ces derniers mois, il s'était pris de passion pour Les Songes drolatiques de Pantagruel, faussement attribué à Rabelais (1565). Cette œuvre inclassable de François Desprez réunit 120 planches étonnantes et déroutantes peuplées de monstres à la fois drôles et effrayants. Daniel a revisité l'ensemble de ces planches et à révélé des personnages furtifs et outranciers en n’hésitant pas à les secouer, à les transformer ou à les placer dans des situations invraisemblables ou dans des décors somptueux, avec des lumières dorées. Une exposition en collaboration avec les éditions Warm éditions était prévue en juin à Laval. Il envisageait d'en faire un livre en faisant appel à des auteurs de la région.



Un homme accompli

Heureux comme Daniel qui donnait tant et offrait son talent. A chaque nouvel an, j'attendais avec impatience ses vœux. A chaque fois, une œuvre de sa composition, une trouvaille graphique, une fantaisie de fabrication avec des clins d'oeil amusés, parfois provocateurs. Toujours jubilatoire. Son esprit un peu rebelle, ses joutes verbales, ses emportements joyeux le rendaient profondément attachant. L'attention pour sa famille et pour les autres, tous ceux qu'ils rencontraient, les plus récents comme les amis de longue date, l'animait.

Heureux comme cet homme qui un jour vous raconte qu'après avoir étudié à l’école des Beaux-arts de Paris, et exercé le métier de sculpteur pour des sociétés et des collectivités locales, vous annonce que c'est lui qui a réalisé en 1986, à l'âge de 40 ans, le cadran solaire qui se trouve au jardin Emile-Gallé dans le XIe arrondissement de Paris. « C’est l’un des sept plus grands cadrans solaires d’Europe. Soixante tonnes de pierres ont été nécessaires à sa construction », vous précise-t-il, pas peu fier. Alors faites comme moi, la prochaine fois que vous irez à Paris, allez vous poser au cœur de ce monumental espace. Vous y verrez le temps s'écouler différemment et vous y saisirez la présence d'un homme pleinement accompli.



Thierry Bodin-Hullin