Rencontre avec Jean-Marc Flapp, directeur de publication
Depuis treize ans, Dissonances, revue associative et semestrielle, publie les éclats de la création littéraire en devenir. Chaque numéro décline une thématique précise et décalée pour laquelle un appel à textes est lancé : sur les 300 à 400 textes reçus, seule une vingtaine sera retenue, proposant du thème traité une vision globale “kaléidoscopique”.
Jean-Marc Flapp me reçoit dans une vaste pièce qui donne sur la Loire. Les murs sont recouverts de livres qui débordent sur la table basse. Les lignes des bancs de sable font écho à celles des rayonnages. Un lieu clos ouvert sur un horizon mouvant, vivant et changeant comme la littérature. On est bien ici chez un passionné. La lecture a été très tôt, très vite une nécessité qui l’a embarqué en littérature et a fait de lui un lecteur compulsif et exigeant. Il devient professeur de lettres car c'est “ un travail pour faire ce que j'aime et qui me laisse du temps pour la littérature pure ”. Ce temps est certes occupé par les livres mais aussi par l'écriture. Écriture de poèmes durant ses années d'étude puis de fictions dont un certain nombre ont été publié en revues. C'est dire par là aussi qu'il connaît intimement le travail du texte.
Lancée au départ par un duo d’amis journalistes, Dissonances voit le jour en 2002. Jean-Marc Flapp s’implique tout de suite dans l’aventure et accompagne les différentes mues qui rythmeront la vie de Dissonances : du fanzine d’origine à la revue actuelle, passant progressivement d’un 24 à 48 pages, l’émergence d’une ligne éditoriale plus affirmée, la mise en place de sa périodicité - deux numéros par an - et le renouvellement de l’équipe. “ Les choses se sont faites progressivement ” précise-t-il à plusieurs reprises, elles ont fait de lui peu à peu le “ chef d’orchestre ” de cette publication.
Il s'agit pour lui “de servir la littérature, c’est à dire d’y injecter du nouveau et d’en être le vecteur. C’est ça le travail de l’éditeur : un métier splendide et passionnant, même s’il est par ailleurs hyper chronophage.”
Pour le mener à bien, il faut en recueillir la matière. L’ensemble des textes reçus voit les noms des auteurs retirés par la secrétaire de rédaction Mathilde Tasteyre avant d'être soumis à un comité de lecture composé de trois lecteurs passionnés et exigeants (Christophe Esnault, Côme Fredaigue, Alban Lécuyer) en sus du rédacteur en chef. L’essentiel se tient là : gommer l’identité du signataire pour laisser vivre pleinement les textes, c'est à dire les lire pour eux-mêmes, sans être parasité par le fait qu'un auteur ait été publié (par la revue ou ailleurs) ou soit une connaissance (ou un membre du comité). “On fonctionne à l’émotion [...] C’est un choix subjectivement assumé, d’où le sous-titre de la revue : “à but non objectif” [...] on cherche à être surpris.” La rigueur du choix (via l’anonymat) alliée à la quête de textes différents, puissants, dissonants, c’est ce qui pourrait se définir comme l’ascèse punk de Dissonances.
Des liens se tissent souvent entre la revue et ses auteurs, ces derniers l’informant de leurs nouvelles parutions, demandant des conseils éditoriaux, poursuivant ainsi le dialogue ouvert par la publication.
Au fil du temps le sommaire s’est enrichi d’un certain nombre de rubriques critiques : Dissection (questions à un(e) écrivain(e)), Disjonction (un livre, quatre chroniqueurs), Dissidences (huit coups-de-cœur de lecture d'ouvrages parus chez de petits éditeurs). Pour celle-ci, Jean-Marc Flapp explique :
“la littérature, pour qu’elle vive, il faut qu’elle se renouvelle : on ne chronique que des livres de la petite édition car elle publie ce qui n’est pas encore du marché : le devenir de la littérature.”
Pluridisciplinaire par ses partis pris d’édition, Dissonances l’est aussi dans ses choix visuels, en mariant aux textes le travail d’un(e) illustrateur (trice) ou d’un(e) plasticien(ne). C’est avec gourmandise que Jean-Marc Flapp raconte le temps de la maquette : “Aux deux beautés qui m’ont été confiées (celles des textes et des images), je dois réussir à offrir celle d'une mise en page qui les mette en valeur." Il s’en dégage une unité graphique forte et toujours au service du texte. “La maquette est traitée en double page, c’est fait pour être lu ouvert.” Ce plaisir du façonnage de l’objet, il en fixe le premier souvenir dans la petite enfance, chez sa grand-mère. Avant d’apprendre à lire, il y passe des heures à feuilleter de gros livres en cuir sur la mythologie grecque et latine. “C’est l’objet-livre qui m’a fasciné d’abord, l’odeur, le poids, la densité, le fait que ça s’ouvre, les dessins bien sûr et aussi les très belles typos et lettrines. C’est un flash esthétique et sensuel.” Cette fascination durable pour l’objet explique aussi que Dissonances soit restée une revue papier à l’ère du numérique.
Indépendante et autogérée, la revue fonctionne grâce à la passion de son équipe, chaque décision structurelle étant prise en commun. Le prix de vente du numéro (48 pages sans pub) est de 5 euros : cela paie l’impression (à 500 exemplaires), les envois par la poste, les stands sur les salons. La diffusion est assumée par la revue. C’est dire qu’elle y gagne la liberté de son regard et de ses choix. C'est dire aussi l’importance des lecteurs fidèles à chaque parution : « Ce sont les abonnements qui nous permettent de tenir.”
Appel à textes (inédits, format word, maximum 9000 signes espaces compris)
pour le n° 29 : thème : Tabou
date limite d’envoi : 31 juillet minuit
adresse : dissonons@yahoo.fr / contact : revuedissonances@orange.fr