Le nouveau livre de Jean-Pierre Sautreau, Une croix sur l'enfance en Vendée, plonge dans la vie d’un enfant de onze ans, élève du Séminaire, et dans le milieu catholique vendéen du début des années 60. Lecture de Christian Bulting.
Ce livre est celui d'un écrivain. D'un excellent écrivain. Celui des proses autobiographiques de Dans le jardin de mon père (Soc et Foc, 2014) exactes, vivantes, vibrantes ou celles de Au fil de ma mère (Opéra éditions, 2017).
D’Une croix sur l'enfance, dont la réédition est préfacée par Pierre-Yves Bulteau, un journaliste de Mediapart, les médias n'ont retenu que le récit d'abus exercés par un “directeur de conscience” pédophile sur le narrateur, actualité oblige. Les faits sont évoqués en quelques phrases, nettes, pudiques. Le livre nous emmène beaucoup plus loin.
Il décrit une institution, le Séminaire, son fonctionnement basé sur l'obéissance, inconditionnelle, l'humiliation, le silence. Les corps comme les esprits sont étouffés, réduits, bafoués: “Un corps saint dans un esprit ceint, voilà la devise du Séminaire”.
L'enfant de 11 ans, qui par “l'élection” du clergé local et la décision de ses parents, se retrouve dans cet univers carcéral dont il ne sort qu'aux vacances, devient un “naufragé mélancolique”, coincé dans un long tunnel. Jamais l'enfant qui aime “les merveilleux mystères de la vie ordinaire” ne s'est revendiqué d'une quelconque vocation, n'a émis le moindre souhait de rejoindre le Séminaire. “Toutes les victimes, comme moi, d'une incorporation fallacieuse, sorte de malgré-nous privés d'un libre choix et d'une grâce particulière, sont plongés, du coup dans une atmosphère traumatisante.”
Le but de la sixième est de briser les individualités, de dissoudre les personnalités. Dans ce système qui n'hésite pas à utiliser la terreur – gifles arbitraires, coups de règles, punitions – en complète contradiction avec le discours d'amour martelé à longueur de journée, l'enfant sombre sans bruit, ses résultats chutent, il souffre sans desserrer les dents ni en classe ni chez lui une fois les vacances venues.
Il ne parvient pas à dire sa peine, son immense tristesse. Ses lettres à ses parents commencent par “Tout va bien”, seule appréciation possible dans des courriers remis ouverts. Et aux vacances aucune plainte ne réussit à franchir ses lèvres. Il ne “participe plus au mouvement du monde ni à la respiration profonde de la vie”. Quand à la fin du second trimestre de troisième, l'institution, devant sa mauvaise volonté, décidera de se séparer de lui, il lui faudra “reprendre corps”, reprendre vie.
Le livre de Jean-Pierre Sautreau est d'une telle richesse que ces quelques lignes ne peuvent en donner qu'un vague aperçu. Il faudrait parler de ses analyses du milieu catholique vendéen du début des années 60, où se situe le livre, évoquer son humour à froid, son creusement du vécu. Et surtout rappeler que tout cela est servi par une écriture magnifique, dense, claire, sensible.
Une croix sur l'enfance en Vendée, par Jean-Pierre Sautreau, Éditions La Geste, 198 pp., 18€, ISBN: 9782490746019.