« Est-ce qu’on peut dire que je suis comme la plupart des gens ? Je vis sur du plat. Du plat à perte de vue, du plat à ne plus savoir qu’en faire. Du plat à en perdre la tête, à confondre l’endroit et l’envers, le ciel et la terre.
Mais j’ai la mer.
Je l’aime prisonnière.
Je l’aime enfermée.
Je l’aime glacée.
Parce qu’il y aura toujours un moment où quelqu’un arrivera pour la libérer. »
Galya Bolotine, la jeune fille qui dit (ou chante) cette longue attente maritime, vit à Tiksi, Sibérie septentrionale, au-delà du cercle polaire. Tiksi comme un grand Nord, un grand Lointain, qu’on imagine d’abord inventé, fictionnel, tant Marie Chartres sait rendre onirique la beauté de ce décor immobile, avant de le trouver sur la carte (ou sur « un vieux globe terrestre », comme le fit Clémentine Vongole sur son excellent blog Thérèse Ramequin).
Ce sont des photographies de là-bas, celles d’Evgenia Arbugaeva, qui ont servi de matrice à cette jeune auteure, native de Châteaubriant (où elle officia longtemps comme bibliothécaire, imprimant une dynamique d’animation toujours active un an après son départ vers d’autres contrées), pour construire ce beau conte nordique.
Galya Bolotine vit donc à Tiksi, au bord d’un océan gelé une partie de l’année, entourée d’un père bougon, de deux frères dissemblables, l’enfant insomniaque Lazar et Gavriil, le jeune poète mutique. Cette famille est amoindrie, elle est un collectif d’esseulés, depuis que la mère a disparu. On ne sait d’abord rien des détails de cette disparition, dont on imagine les ressorts dramatiques, avant qu’ils nous soient révélés, révélation qui constitue un des enjeux dramaturgiques du récit.
Le passage du brise-glace, le Yamal, son escale à Tiksi, font événement pour la population de ce port en déshérence. Cet événement sera le point nodal d’une crise aux causes aussi étonnantes que son dénouement. Le paysage arctique, cet habitat déshérité, ces « maisons qu’on dirait construites par des enfants », parfait support aux envies d’ailleurs de l’adolescente, sont magistralement reliés, avec douceur et subtilité.
Et ce roman, dense et minutieusement ouvragé, paru en collection médium de l’école des loisirs, s’il nourrira les jeunes lecteurs gourmands, ravira aussi leurs ainés plus gourmets.
Marie Chartres, Comme un feu furieux, L’école des loisirs, collection "médium", 2014
EAN13 : 9782211216203
Prix : 14,00 €